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Rencontrée à Cannes deux ans apès la folie Kechiche, Adèle Exarchopoulos revient avec la même franchise sur Les Anarchistes.

Tu es arrivée à quel moment sur Les Anarchistes
J'ai été la dernière roue du carrosse. Les mecs étaient déjà là, le casting composé quand il m'a fait lire le scénario. Les défis m'amusaient. Le défi de la langue, de l'écriture, de l'époque… c'était vraiment stimulant. Passer d'une improvisation complète comme avec Abdel à une précision et une audace comme celle d'Eli, ça me terrifiait autant que ça m'excitait. L'ambiguité de mon personnage, sa fêlure, le fait qu'elle soit engagée me touchaient. Et puis que le sujet soit éternel : la souffrance du milieu ouvrier, la recherche de qui on est, la peur de vivre. Et l'anarchie ! C’était très très excitant sur le papier. Ce qui m'intéressait aussi c'était d'avoir une expérience différente. Eli et Abdel n’ont rien à voir. Jamais t'auras une marque au sol dans un film d’Abdel, jamais un mot imposé. Chez Eli c'était très structuré, très écrit, très pensé. Je ne suis jamais intervenu d'ailleurs. Je me laisse facilement apprivoiser. J'aime me laisser guider par les regards extérieurs et par ce que me dicte le personnage. 

Si tu te laisses guider, qu'est ce que tu apportes au personnage ? 
J'en sais rien, honnêtement. J'ai aucune objectivité. Et puis je peux pas te dire parce que je n'aime pas me revoir. C'est pas très agréable. C'était très bizarre de me voir aussi différente, dans un autre film…

… Que La Vie d'Adèle ? 
Oui. C'est pour ça que je te dis que j'ai été conditionnée. Tout le monde m'a dit que La Vie d’Adèle serait mon plus grand rôle. C’est tétanisant. Tu passes la suite de ta carrière à te demander si tu vas être à la hauteur, de tes partenaires, de ton réal, des attentes du public.

A ce point ? 
Carrément. Avant je regardais mes films et quand je me plaisais pas, je me disais que j'avais pas été très bonne. Quand 500 journalistes te disent que tu as fait ton classique, que ta vie va changer, que tu vas être prisonnière d'un rôle… les gens te projettent tellement de choses à la gueule, fantasment tellement de trucs que c'est comme s'ils avaient la possibilité de brider le moment présent. Ils me poussent à me regarder. 

C'est fou parce que je n'ai jamais pensé au Kechiche… et puis bim, tu couches avec Tahar. La scène est pudique mais je me suis dit que tu n'étais pas à poil comme dans le Kechiche…
Tu vois, c'est le parasitage dont je te parlais. Mon apparition te fais revivre un truc d'il y a deux ans. C'est un putain de problème. J'aimerais qu'un jour quelqu'un arrive et me dise "j'ai complètement oublié La Vie d'Adèle". J'aimerais me le dire à moi, mais j'aimerais que les autres me le disent… 

Comment t'essaies de t'en sortir ? 
En n'y pensant pas. Jamais. En ne comparant jamais... 

Bon, revenons aux Anarchistes, le plus fou, c'est la puissance de l'incarnation
M'en parle pas. C'est un film de bande. Un beau portrait d'hommes et d'acteurs. Tahar, il a une contradiction en lui, une ambiguité qui me bouleversent. J'ai une connexion directe avec son jeu. Swann Arlaud il a un truc dans son visage qui te capte direct. Guillaume Gouix il réussit à faire d'un petit rôle un truc hyper fort.

J'adore la fin. "J'espère que tu vas souffrir, vive la révolution sociale, vive l'anarchie". Super phrase. Ca te parle ? 
Ce serait mentir que de dire que je suis politisée. Mais oui, je fais partie d'une génération désabusée. Parce que liberté égalité fraternité, on le ressent jamais. Y a une contradiction entre mes illusions et la réalité. Alors l'anarchie je sais pas, la révolte je veux bien, mais de manière plus générale. 

Interview Gaël Golhen

Les Anarchistes d'Elie Wajeman avec Adèle Exarchopoulos, Tahar Rahim, Swann Arlaud est présenté à la Semaine de la critique et sortira en salles le 11 novembre 2015.