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Dans les films de Kore-Eda, il y a toujours un vide à combler, une absence à encaisser. Dans Nobody knows, une fratrie était livrée à elle-même dans un appartement délaissée par une mère volage ; dans Still Walking, l'ombre d'un enfant disparu pesait sur le déroulement d'une réunion familiale annuelle ; dans I Wish, deux frères séparés par le divorce de leurs parents fantasmaient une impossible "réunification familiale" ; dans Tel père, tel fils, des parents essayaient maladroitement de tisser, en l'absence d'histoire commune, un lien filial avec leur enfant génétique qui avait été échangé par erreur avec un autre à la naissance...Promesse jamais tenueAvec Notre petite soeur, le cinéaste japonais aurait-il fait le film de trop sur la question ? On y suit trois soeurs, aussi différentes que soudées, qui accueillent dans leur grande maison familiale une demi-soeur inconnue, fruit de la liaison de leur défunt père avec une autre femme. Au rythme des bouffes, omniprésentes comme dans Still Walking et génératrices de sensations et de souvenirs proustiens, se dessine une cartographie familiale complexe, qui laissait espérer LE grand film cathartique de la compétition. Au lieu de ça, Kore-Eda ressasse ses motifs (retenue maximale, bienveillance apparente des personnages, non-dits insidieux) avec une application d'artisan sûr de ses effets. Le résultat frustre plus qu'il ne convainc : pas de scènes franchement marquantes ni de performances incroyables (la grand-tante jouée par l'inénarrable Kirin Kiki vole les trois-quatre scènes où elle apparaît, c'est dire). Tout du long, on a comme l'impression d'une promesse de film jamais tenue. Dans certaines scènes, on y croit même fort. La traversée en vélo d'une allée de cerisiers dénote une poésie qui manque cruellement à l'histoire, désespérément littérale. Une confrontation pleine de cruauté entre les trois premières filles et leur mère accouche d'un minuscule séisme émotionnel, sitôt vu, sitôt oublié. A force de privilégier les creux, Kore Eda finit par s'y enfoncer. Doucement, l'air de rien.Christophe NarbonneNotre petite soeur de Hirokazu Kore-Eda avec Haruka Ayase, Masami Nagasawa, Kawo est présenté aujourd'hui à Cannes en compétition et sortira dans les salles françaises le 28 octobre 2015