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L'immense cinéaste Blake Edwards s'est éteint hier à l'age de 88 ans. La comédie américaine est en deuil Putain d'année 2010 ! Après la disparition il y a quelques semaines de Tony Curtis, après la mort de Leslie Nielsen et celle de Monicelli (le même jour, histoire de nous faire rire jaune sans doute), l’un des plus grands réalisateurs du genre disparait. Blake Edwards.Flashback. Blake Edwards est né le 16 juillet 1922 à Tulsa, dans l'Oklahoma. Il grandit dans une famille de cinéma : son père était un directeur de production à Hollywood et son grand-père aurait été le réalisateur préféré de Theda Bara. Blake Edwards quitte les petits boulots de coursier et de figurant pour devenir acteur. Une vingtaine de films dans des petits rôles avant de partager, en 1948, la vedette d'un film de Richard Quine, Leather Gloves. C'est la même année que Blake Edwards se lance dans une carrière de producteur-scénariste. Il fait ses armes dans le feuilleton radio et télé, en créant deux excellentes séries en noir et blanc, Peter Gunn et Mister Lucky (avec déjà le génial Henry Mancini à la musique). A partir de là, tout s’accélère. En 1955, il participe à l’écriture de la Nuit du Chasseur, mais très vite, se retrouve aimanté par la comédie. Avec déjà, instinctivement, le fondement de toute son oeuvre : la maladresse comme atout charme. Il écrit plusieurs films pour le cinéaste Richard Quine avant de signer lui-même la mise en scène de l'Extravagant Mr Cory. En 1959, il dirige le couple Cary Grant-Tony Curtis dans Opération Jupons. Sa carrière est lancée: il passe de la comédie mélancolique (Diamants sur canapé) au thriller (l'extraordinaire et méconnu Allô, brigade spéciale), du drame sur l'alcoolisme (le Jour du vin et des roses) à la triomphale série des Panthère rose. Et puis, sommet de son oeuvre, La Party. La carrière d'Edwards est étrange. On croit tout savoir quand on a listé ça. C’est faux. Blake Edwards cinéaste burlesque ? Oui, mais hanté par des pulsions suicidaires. Cinéaste de l'insouciance ? Peut-être mais ses films sont truffés de bouffées dépressives qui explosent constamment à la gueule du spectateur. Pour aller si loin dans le timing et dans l'exactitude du tempo; pour sonder à ce point le vide, et vouloir pousser le burlesque dans ses retranchements; pour ça, il faut apprivoiser la mort. Il y a du Beckett chez Blake Edwards comme en témoignent ses drames (sans doute le meilleur de sa filmographie, parce que le plus discret, le plus subtil) et ce refus de la bonne conscience (cf. la fin de Diamants sur canapé). Et ce qui fonde le cinéma d'Edwards, c'est ce refus effronté du politiquement correct et cette obsession de l'inversion et du sexe. Ce n'est pas un hasard s'il a dirigé les meilleurs acteurs gays d'Hollywood (Tony Curtis, Cary Grant, Rock Hudson) - à contre-emploi - et si, ce que la plupart des critiques considèrent comme son chef d'oeuvre, ne traite que de ça, Victor Victoria. Toute sa vie, Blake Edwards aura donc mené un travail de sape contre Hollywood. Il aura bataillé en douce contre le système des studios, contre leur arrogance et leur politiquement correct. En douce parce que son cinéma avait l'élégance de se faire léger, virtuose, divertissant. Car Blake Edwards reste d'abord le maître de la sophistication lounge. Ecoutez les musiques de son complice Henry Mancini : suaves, légères et entêtantes, virtuoses et pourtant si faciles... Le cinéma d'Edwards était pareil : il savait allier avec une grâce confondante la beauté, l’harmonie pour faire tout sauter. C'était ça le secret et une scène de La Party résume à merveille cette ambition explosive : Finalement, la plus belle définition du cinéma de Blake Edwards pourrait bien être cette phrase du critique américain Andrew Sarris : “Edwards avance sur le sol brillant de la modernité avec les chaussures grinçantes de la moralité”. Ce soir, Edwards vient de se casser la gueule. Une énorme partie du cinéma contemporain avec lui...