Abaca

Rencontre, à Cannes, avec Paul Dano, réalisateur de Wildlife avec Carey Mulligan et Jake Gyllenhaal.

Acteur au teint pâle (découvert dans Little Miss Sunshine), Paul Dano passe à la réal avec Wildlife, l’histoire simple et "americanesque" d’une famille 60’s qui implose en direct sous le regard anxieux du fils unique. Joli petit film chromo, d’une grande humilité, comme son auteur. 

On entend beaucoup au sujet de Wildlife que c’est un film d’acteurs, au sens du plaisir que vous prenez à les regarder. C’est de l’amour pour les personnages ou pour les acteurs qui les jouent ?  

Paul Dano : Mmm… Non. C’est l’amour des personnages qui dicte tout, aussi bien mon engagement que celui du spectateur, du moins je l’espère. J’ai beaucoup réfléchi au préalable à l’histoire, aux personnages et au type d’image que je souhaitais obtenir. Vous réunissez l’équipe, vous faites les repérages, la préparation, vous trouvez vos cadres, et seulement après commence le travail avec les acteurs. Evidemment, ils « sont » le film d’une certaine manière, et une extension de tout ce travail qui vient au préalable. Mais il s’agit toujours de capturer le moment, dans le respect de ce que vivent les personnages.

Non pas qu’on les voie jouer hein, mais le film a une façon très spécifique de les mettre en valeur…

L’acting c’est tout ce que je connais. Je viens de là. Après, il n’est pas impossible que ça transparaisse dans ma première mise en scène, mais je ne le vois pas comme un film d’acteurs. Encore une fois, c’est un tout. Les acteurs sont une composante du cadre, le montage reconfigure leurs performances etc… Vous essayez de porter une micro-attention à chaque petite nuance qu’ils vous donnent, mais uniquement dans le souci  de raconter l’histoire.

Wildlife : la critique

Au début, on ne croit pas trop à cette famille. Le gamin fait plus que son âge, les parents sont étrangement assortis… Puis on comprend peu à peu que c’est délibéré.  

Le gamin devient le pilier qui tente désespérément de les faire tenir débout, tandis que les parents se déchirent et partent individuellement en vrille. Quelque part, les rôles s’inversent. Pour moi, ça sonnait vrai dans le contexte Noman Rockwell de l’histoire. On peut toujours prétendre qu’on va bien ou que la vie suit son cours, mais on est tous en lutte avec nous-mêmes.   

Le film épouse le regard du fils mais ne perd jamais de vue que les parents savent qu’ils sont regardés par lui, ce qui les rend tous insupportablement vulnérables…

Ah oui, pas mal. Je vois ce que vous voulez dire, c’est intéressant. Effectivement, c’est une triple coming of age story ; Tous dérivent dans des directions différentes, perpétuellement exposés et soumis au regard de l’Autre… 

La manière qu’a ce gamin de se languir de l’harmonie familiale est un peu creepy, non ?

Ahah, vous trouvez ? Non, pour moi c’est juste un gamin solitaire qui vient d’emménager dans une nouvelle ville et n’a que ses parents pour repères.

Incroyable ce jeune acteur, qu’on avait vu dans The Visit de Shyamalan. Il a une drôle de bouille expressive, quelque chose de poupon et adulte à la fois…

Ed Oxenbould ! Il avait quinze ans au moment du tournage, et déjà une grosse, grosse éthique d’acteur. Il faisait des choix incroyables, ce qui m’évitait après au montage de travailler « autour » de sa performance, comme ça arrive parfois avec de jeunes acteurs. Jamais je n’aurai pensé faire jouer ce All-American kid par un australien. Mais voilà…   

Le Montana a beaucoup été mythologisé par la littérature américaine, de Jim Harrison à James Crumley en passant par Robert Ford (dont Wildlife adapte la nouvelle du même nom). On sent que c’est votre came…

Oh oui ! Je n’y ai jamais vécu, j’adore y aller. Il y a quelque chose dans cette littérature-là qui m’a toujours touché, qui fait résonner dans l’immensité de ce territoire vierge les choses les plus simples.

Vous attendiez le bon projet pour passer à la mise en scène ou ça s’est fait comme ça ?

Je l’ai lu, j’en suis tombé amoureux, et j’ai pensé que je pouvais en tirer un film. Ça a été le fruit d’une longue réflexion, d’une longue mise en bouche. Et quand j’ai su ce que serait le plan final du film, j’ai considéré que je pouvais me mettre à l’écrire.

Le fait d’avoir le plan final en tête vous a donné le feu vert ?

Je ne savais pas exactement comment j’allais y arriver et de quoi serait fait le reste du film. Mais il contenait dans sa forme absolue tout ce que j’avais à dire (la famille anéantie mais réunie), et j’ai eu l’intuition que je saurai retrouver mon chemin jusqu’à lui, si vous voyez ce que je veux dire.   

Visuellement, le film est très composé, avec des visions Americana propres et rectilignes à la Edward Hopper…  

En passant à la mise en scène, j’étais surtout excité par l’image. Cette histoire, il me semble, s’organisait autour de quelques principes artistiques élémentaires : la simplicité permet la complexité, l’économie a une certaine qualité poétique etc… Je ne prétends pas y être arrivé, notez bien. Mais c’est ce que je visais. Sois honnête. Ne bouge la caméra qu’en cas d’extrême nécessité. Fais confiance aux acteurs. Tout ça était déjà plus ou moins intégré à l’écriture…

Ecrire un film sur un couple en crise avec sa compagne (l’actrice Zoe Kazan, ndr), c’est bon pour le moral ?

J’ai écrit le premier draft, je lui ai fais lire, et elle l’a éventré ! Elle a demandé à faire une passe dessus, j’ai dit oui. Et à partir de là, on s’est repassé le texte de l’un à l’autre sur la base d’une confiance renouvelée (Rires), et dans une relative harmonie d’esprit. En salle de montage aussi, Zoe était là…