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En direct du TIFF, les films marquants de cette saison sont...

High Rise

Toronto est un festival de bouche-à-oreille. De bouche-à-bouche, plus exactement. Une gigantesque enfilade de projections-test sponsorisée par l’industrie et déguisée en symposium artistique. Le métier y exhibe ses pelloches les plus friendly devant un public reconnaissant et acquis à la cause. On n’est pas à Cannes. Ici, personne ne lève les yeux au ciel en maudissant des noms de cinéastes imprononçables ou ne s’étonne à voix haute que telle « merde puisse être montrée en sélection ». Tout n’est qu’amour, respect et plaisir partagé. Un peu obscène, oui ; C’est pourquoi Toronto peut difficilement faire l’économie d’un film malpropre et chtarbé comme High Rise. Adaptation du roman dystopique de J.G Ballard par le garnement Ben Wheatley (éternel espoir de l’avant-garde british), c’est une descente programmée vers la folie et le désordre, un rutilant kaléidoscope de fêtes, de drogues, de mort et de sexe, qui parvient assez efficacement à trouver son rythme – faute de trouver son sujet. Un calvaire narratif, une danse nihiliste au-dessus du vide. Pas, mais alors pas friendly du tout.

Le roman date de 1975 et Wheatley s’éclate visiblement à accentuer les codes visuels de l’époque. Fleuron d’un programme d’urbanisme cauchemardesque, une gigantesque tour de béton s’élève à l’horizon et loge ses habitants selon un système de classes : riches aristos au sommet, upper-class partouzeurs au milieu, et classes moyennes en bas. Un jeune physicien anonyme (Tom Hiddleston, parfaitement distant) s’installe parmi les familles de swingers, juste à temps pour voir le monde s’effondrer autour de lui… Des colonnes de granit qui transpercent les habitations aux jardins suspendus en passant par les ascenseurs art-déco, le film est un triomphe de design. En intégrant la première division du cinoche international (Jeremy Thomas produit), Wheatley a clairement musclé son jeu. Libre d’arpenter les coursives de la tour et du roman comme bon lui semble, il parvient à faire chanter ce cocktail assez prévisible de critique sociale datée et de délire Ken Russelien. A mi-parcours, lorsque le film sort finalement de son axe (la bascule est traitée comme un non-événement), le lobby est déjà une zone de guerre et la piscine, pleine de caca. On sent l’évidente jubilation du cinéaste à relâcher délibérément une part de contrôle, sa quête joviale de voyeur complice (de non-raconteur), tandis que Jeremy Irons écrase sa canne d’architecte sur ses voisins et que l’orgie must go on… Qui, aujourd’hui, ose initier des projets de cette taille ? Qui a encore les couilles de miser sur ces gros films arty qui en ont ? Est-ce qu’on aime High Rise ? Difficile à dire. Mais ça fait plaisir à voir.

High Rise de Ben Wheatley, avec Tom Hiddleston, Luke Evans, Jeremy Irons

 

Evolution

Sur une petite île volcanique coupée du monde vit une communauté de jeunes garçons élevés à la spartiate par leurs mères. C’est ce qu’on suppose : elles les logent, les surveillent, leur donnent à manger une bouillie noire infestée de vers… Le jeune Nicolas prend conscience de son corps et questionne son rôle et celui de sa « mère » (Julie-Marie Parmentier) dans cet étrange écosystème. Pourquoi les mères ont-elles des ventouses dorsales ? Quel type d’expériences mènent-elles sur son nombril ? Le premier plan est d’une beauté inouïe: une contre-plongée amniotique qui s’agrandit en vista majestueuse du sol marin, parsemée de lumières et de couleurs primitives. Le commencement des temps, lieu du pêché originel (la découverte d’un cadavre)… La stase méditative de la mise en scène et l’absence d’exposition amplifient la puissance mythologique du film, qui fonctionne à la manière d’un Innocence inversé ; Après l’éducation de petites filles à couettes, la préparation bio-chirurgicale de petits garçons appelés à donner la vie. Onze ans séparent Innocence d’Evolution, mais ils sont reliés par la taille. Un lien étrange, mûri, qui les nourrit et les renforcent mutuellement. Trois films seulement à l’actif de Lucile Hadzihalilovic, mais une œuvre entière.

 

Evolution de Lucile Hadzihalilovic, avec Max Brebant, Roxane Duran, Julie-Marie Parmentier

My Big Night

My Big Night démarre fort, par un superbe numéro de vulgarité scénique tap-dancé à toute allure devant des caméras de télévision. Et continue plus fort avec le parachutage express d’un pauvre acteur intérimaire à la table des figurants, là où pleuvent les sourires en carton et le champagne en plastique. Et toujours plus fort avec le chantage au sperme d’une star débile de la pop par la groupie qui vient de le sucer (sans avaler), etc… On assiste au tournage nocturne d’une émission spéciale Saint-Sylvestre enregistrée en Octobre, tandis que des émeutiers en colère bloquent l’accès au studio. Une sorte de Snake Eyes survolté, de Birdman mal éduqué, jeté tête la première dans les chaussettes sales de la télé-poubelle. Et on comprend que My Big Night en a sous le capot… L’air de rien, une démonstration de style étourdissante de la part d’Alex De La Iglesia, qui capture la foudre au lasso et la chevauche jusqu’au petit matin. C’est drôle, limpide et ça va très, très vite.

 

My Big Night de Alex de la Iglesia

A suivre…

Truth, super film-dossier Blanchettien avec Cate Blanchett (et Robert Redford) ; Where To Invade Next, l’exposé grotesque de Michael Moore contre Dick Cheney (qui rend Dick Cheney sympathique) ; et February, film démoniaque incompréhensible mais inoubliable.