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Le réalisateur parle aussi d'Excalibur, "l'ultime film avant les CGI", à revoir ce soir sur Arte.

En juin 2017, John Boorman était à l'honneur à la Cinémathèque Française, son travail faisant l'objet d'une rétrospective. A cette occasion, Première a pu rencontrer le grand cinéaste pour décrypter la scène culte des "Dueling Banjos" de Délivrance, prototype du survival moderne, et pour parler de quelques-uns de ses films les plus importants à ses yeux. Flashback, en attendant de (re)voir Excalibur, ce soir sur Arte.

 

 
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Duel dans le Pacifique (1969)
"Je ne fais de storyboards que pour les scènes d'action. Ma méthode de travail est de faire une réunion le lundi avec le programme de tornage de la semaine, et voilà. La seule fois où j'ai fait un storyboard, c'était pour Duel dans le Pacifique parce qu'il n'y avait pas de dialogue, c'était un film muet. On a passé trois mois à la storyboarder avec Tony Pratt. Le storyboard était donc le script du film."

 

 
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Léo le dernier (1970)
"A mon avis, Léo le dernier est mon film le plus sous-estimé. Très expérimental, très inspiré par les théories de montage du cinéma russe primitif. Marcello Mastroianni qui observe avec une longue-vue : c'est une idée de cinéma très expérimental, qui a dérouté le public. La preuve, Léo le dernier a été un échec partout. Sauf en France, allez savoir pourquoi..."

 

 
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Délivrance (1972)
"Avant Délivrance je travaillais déjà à l'adaptation du Seigneur des Anneaux et ça a forcément nourri Délivrance. Qui est le premier film "boormanien", si vous voulez. Avec le thème central, essentiel, de la rivière. En lisant le manuscrit du roman je savais exactement comment j'allais tourner ce film. J'ai fait beaucoup de canoë dans ma jeunesse. Et à 12 ans je suis tombé dans une écluse, j'ai failli mourir noyé. Je me suis laissé entraîner par le courant violent. C'était une expérience douloureuse mais mystique. Fusionner avec la rivière. Mais ce n'est pas le thème de Délivrance. L'idée centrale du roman était ces habitants de la ville, mis à l'épreuve par la nature, qui deviennent de vrais hommes. Je n'étais pas du tout d'accord avec cette philosophie. C'est pour ça qu'à la fin Jon Voight est hanté de cauchemars terrifiants. Après, James Dickey, l'auteur du roman d'origine, a essayé de faire refaire le film, plus proche de son texte, avec son script. Evidemment aucun studio n'a voulu le refaire. Au cours des années on m'a envoyé pas mal de scripts de suites -par exemple les enfants de Drew devenus adultes qui reviennent à la rivière savoir ce qui est arrivé à leur père, mais ça ne m'a jamais intéressé. Délivrance est un film parfaitement complet. Tout est résolu à la fin."

 

 
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Zardoz (1974)
"Délivrance a été un tournant. Un énorme succès qui m'a donné la liberté de faire Zardoz, puis Excalibur. Zardoz a été un flop mais chaque année le culte autour du film grandit : il est passé d'échec à classique sans passer par la case succès. (rires) Incroyablement, personne ne m'a parlé d'un remake. Pour l'instant."

 

 
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Excalibur (1980)
"La main qui surgit de l'eau à la fin de Délivrance annonce celle d'Excalibur. Sous l'eau du lac il y a le chaos de l'inconscient, l'épée Excallibur représente l'énergie qui ordonne et concentre ce chaos. Le mythe arthurien est si profondément enfoui que tout le monde le connaît. C'est fascinant. Tous les effets d'Excalibur ont été faits devant la caméra. Rien en post-production. Aujourd'hui les effets spéciaux numériques nous rendent cyniques : "oh, vous avez fait ça avec un ordinateur". Excalibur a été l'ultime film avant les CGI. J'ai rencontré Peter Jackson avant qu'il ne tourne son Seigneur des Anneaux. Après avoir vu les films je lui ai demandé "comment es-tu encore en vie ? Ca aurait dû te tuer !" Moi, ça m'aurait tué. Il a fait une grande œuvre d'art. La Chapelle Sixtine du cinéma. Heureusement que je n'ai pas fait le Seigneur à mon époque, il n'aurait jamais pu faire le sien ! Je voulais prendre des enfants pour jouer les Hobbits, leur coller des fausses barbes et les doubler avec des voix d'adultes..."

 

 
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La Forêt d'émeraude (1985)
"Je ne peux pas dissocier le tournage du film du film lui-même, l'expérience du résultat. J'ai écrit le tournage dans un livre, Money Into Light. Le livre est d'ailleurs meilleur que le film. Avant d'avoir fait le film j'ai vécu dans une tribu, les Chingu, qui n'ont été découverts par les Occidentaux qu'en 1947. Tous les membres de la tribu qui avaient plus de 40 ans pouvaient se rappeler du temps où ils pensaient qu'ils étaient seuls au monde. Ils vivaient à l'âge de pierre. C'était extraordinaire. Notre monde insiste sur l'individualité. C'est aliénant. Les membres d'uen tribu ne sont pas individualistes, par définition. Ils font partie d'une tribu. C'est une bonne manière de vivre. J'ai appris beaucoup avec eux, sur notre monde. Je crois qu'au fond nous sommes des êtres tribaux. C'est notre nature. Mais nous n'avons plus de tribus. Nous avons des familles, nous allons voir des matchs de foot. La notion de tribu est vaporisée un peu partout. Nous exprimons cela par la guerre, c'est un besoin profond ("a deep need for warfare") qui ressurgit de temps en temps. L'effet tribal est là en permanence, mais il n'est pas compris, pas reconnu. C'est l'histoire que racontent mes films. Retrouver ce désir perdu. L'expérience d'un film dans une salle de cinéma, pas devant sa télé, restaure ce sentiment tribal dans le public. Netflix est aliénant : il rend l'expérience cinéma individuelle et pas tribale."

La Forêt d'Emeraude, le bijou de John Boorman