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Lolo sera diffusé dimanche soir sur France 2.

Interview du 26 octobre 2015 : Plus de trois ans après Two Days in New York, Julie Delpy repasse derrière la caméra avec Lolo, sa première comédie populaire avec Dany Boon et Vincent Lacoste. L'histoire d'un grand gamin qui n'a - vraiment - pas coupé le cordon avec sa mère et qui fait tout détruire ses relations amoureuses.

Quelle est l’origine de Lolo ?
C’est toujours le questionnement qu’on a en tant que parent : commet élève-t-on un enfant bien ou mal ? Qu’est-ce qui fait qu’un enfant est équilibré ? J’avais envie de faire un film assez léger sur le sujet, avec un enfant pervers narcissique qui mène la vie très difficile à sa mère, qui fait tout pour la garder pour elle. Il veut être l’unique personne dans sa vie. Je me suis posée la question sur les rapports que mon fils de six ans et moi entretiendrons dans quinze ans. Avec ma coscénariste Eugénie Grandval, l’idée nous a amusées, tout comme celle d’imaginer un couple un peu insolite. Lui un peu simple et provincial, elle venant de la mode, et dont les relations seraient mises à mal par la présence du fils. Ça me fascine quand l’ennemi vient de l’intérieur. C’est le cas dans ShiningLe Village des damnés… Mais évidemment c’est une comédie ici. Enfin évidemment, pas forcément. J’ai aussi des drames en tête mais personne ne veut me les financer ! 

Vous avez pensé tout de suite à Vincent Lacoste pour jouer le pervers narcissique ?
J’ai écrit le rôle pour lui. Vincent est quelqu’un de très gentil et très cultivé. Quand on a fait Le Skylab, il n’avait que 17 ans et je le trouvais déjà extrêmement professionnel et bon acteur, sans se prendre la tête pour autant. Je trouvais ça drôle de le voir dans un rôle d’un psychotique. Il veut littéralement la manger. C’est la fameuse théorie de Freud… Et comme il projette ce qu’il est sur les hommes qui s’intéressent à elle, il lui dit que Jean-René est un psychopathe qui veut la dévorer : Jean-René devient le grand méchant loup qui va manger sa maman. Sous ses airs d’artiste cool très imbu de lui-même, Lolo est encore très enfantin, il n’a absolument pas coupé le cordon. C’est un grand pervers, non seulement il est un peu né comme ça mais, en plus, elle l’a très mal élevé. 

 


 

Dany Boon n'est a priori pas de votre univers, vous en avez pourtant fait votre "side-kick" dans le film. Joue-t-on plus facilement la comédie avec un spécialiste de sa trempe ?
Dès le départ, j’ai imaginé le rôle de Jean-René en pensant à lui. Il y a un truc chez Dany qui m’a toujours fasciné : quand il est à l’écran, il ne dégage aucun cynisme et on croit profondément qu’il est ce mec qui voit toujours le verre à moitié plein. Un naïf dans le bon sens du terme. Dany a donné son accord trois jours après avoir lu le scénario. Les choses se passent souvent de cette façon sur mes films. Je pense à quelqu’un, cela semble inaccessible, et cela finit par être cette personne qui joue le rôle. J’adore la scène où il va consulter un médecin qui lui explique que ses démangeaisons sont liées au fait qu’il vient de la campagne. Aux yeux d’un Parisien, Biarritz, c’est la campagne. Les habitants de la capitale ont parfois des idées hallucinantes sur les provinciaux ! Jean-René est si gentil et si bienveillant qu’il ne voit le mal nulle part. Or, il est entouré de gens méchants. Cela lui donne une dimension comique mais, au final, on est de son côté.  

C'est votre première grande comédie populaire. Avez-vous changé quelque chose à votre façon de filmer et de diriger les acteurs ?
Non. Le scénario a peut-être un aspect plus commercial. Mon truc principal au niveau des acteurs, c'est que j’essaie toujours de travailler dans un sens qui ne paraisse pas faux. Dans la comédie, on peut se permettre d’aller plus loin mais ce n’est pas pour ça qu’il faut en faire des caisses. Bref, je n’ai pas changé. 

On vous compare souvent à Woody Allen.
Oui, et c’est très gentil, mais on n’a plus les mêmes obsessions. Les gens nous comparent souvent parce qu’on avait des névroses existentielles communes sur la mort et le sexe. Maintenant lui c’est les jeunes filles, donc on ne partage pas ça ! J’aime beaucoup Woody Allen, il a fait de grands films. Même si je n’adhère pas à toute sa filmo, il y a toujours quelque chose. Après il est très productif, il se répète beaucoup dans ses thèmes et ça ne peut pas systématiquement être bon. 

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Avez-vous envie de faire un nouveau film "Before" avec Richard Linklater ?
Notre histoire remonte à plus de vingt ans. Oui, on aimerait bien tourner ensemble. Mais je ne sais pas si on va faire un quatrième. Pour l’instant on ne se contacte pas. D’ailleurs on ne se parle pas beaucoup entre deux films et on se retrouve sur les tournages. 

Comment vous êtes-vous retrouvée dans Avengers 2 ? 
J’ai parlé avec mon agent américain et je lui ai dit que maintenant j’avais l’âge pour jouer les méchantes dans les films super-héros. Et deux heures après il m’appelle : "Marvel veut que tu viennes faire un mini rôle !" Ça tombait bien, j’étais à Londres pour autre chose. J’ai tourné une journée avec Scarlett Johansson qui est adorable, sous la direction de Joss Whedon. Si on me proposait un autre rôle dans le style qui soit honnête et rigolo, ça m’amuserait de le refaire. 

Ça vous tenterait de vous attaquer un gros film de studio en tant que réalisatrice ?
J’aimerais bien ! On ne donne pas autant cette opportunité aux femmes. Je ne sais pas si je ferais que ça, parce que j’aime quand même les films sur dialogue et ce n’est pas toujours leur première préoccupation. Si j’arrivais à faire mes longs-métrages persos de mon côté et ça en plus, ce serait idéal. Mais je n’y crois pas trop. Une femme réalisatrice, qui fait des comédies… Je pense que je resterai toujours dans mon coin. Si j’étais un homme, je crois que je serais déjà dans une situation totalement différente. Après Two Days in Paris, qui a fait un carton aux États-Unis, j’aurais été engagée tout de suite pour faire une grosse comédie. Et on ne me l’a jamais proposé. Le fait d’être une femme limite énormément, surtout outre-Atlantique. Il y a une forme de misogynie à Hollywood, on est un peu des ovnis. Les gens de studios me posent des questions limite insultantes en réunion. Et j’aime avoir le contrôle de mes films et je crois que ça leur fait peur. 

Vous êtes une grande fan de films de science-fiction. Est-ce que vous pourriez en réaliser un ?
J'en prépare un. Mon prochain film est un drame et un film de science-fiction. Mais très, très personnel. Sans effets spéciaux, rien. C'est la meilleure chose que j'ai écrite et de loin. Je ne me vante pas souvent mais là je me l'autorise parce que c'est un film très puissant émotionnellement. Bizarrement, les gens qui le lisent sont très perturbés - donc c'est difficile à monter - et en même temps ils sont fascinés. Je touche une corde qui est très précise, quelque chose de très profond dans la peur. Une peur universelle, la mort, mais ça va plus loin que ça. J'explore un tabou qui va très loin, dans le futur de l'humanité. C'est quelque chose d'extrêmement violent. Je vais le faire à Los Angeles et j’espère que la France va donner du financement, parce que je pense vraiment que c'est mon meilleur film. Mais c'est difficile, parce qu'on ne me prend pas trop au sérieux pour mes drames. Je jouerai dedans et on est en pourparlers avec un grand acteur anglais qui n'aura pas le premier rôle. Je ne vais rien faire d’autre jusqu’à ce que ce film soit monté. 

Interview François Léger et Christophe Narbonne