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On avait rencontré le réalisateur du Grand amour au Festival de Cannes 2010.

Pierre Etaix est mort le 14 octobre 2016 à l'âge de 87 ans : acteur, clown, réalisateur, on l'a vu chez Jacques Tati (dont il était l'assistant réalisateur sur Mon oncle), Nagisa Oshima (Max mon amour), Aki Kaurismäki (Le Havre, son dernier rôle). En 2010, Cannes célébrait ce génie du slapstick français, en projetant Le Grand Amour (1969), sommet poétique et burlesque de ce cinéaste/acteur méconnu. On avait pu le rencontrer pendant près d’une heure, pendant laquelle il avait parlé du cinéma, de l’art, de la vie et de ses projets. Pierre Etaix vient donc de disparaître. De s'effacer. Alors pour vous donner envie de vous précipiter sur ses joyaux, voilà un extrait d’une rencontre qui donnait un bon aperçu de l’homme. Franc. Intègre. Et toujours enthousiaste après des années de galère.

A une heure de la redécouverte du Grand amour sur grand écran comment vous sentez-vous ?
Comme au premier jour. Je ne me pose qu’une seule question : est-ce que le public va s’amuser ?Est-ce que ce que j’ai aimé faire et ce qui m’a fait rire, va plaire ? Comme tout métier la comédie n’est qu’un appel à l’autre. Un maçon, il construit une maison pour que des gens l’habitent et y vivent heureux. Moi, c’est pareil.

Mais là, la maison est restée vide pendant 40 ans. Vos films ont disparu pour des raisons juridiques et on les découvre maintenant… Vous accédez à une notoriété à retardement. Et ça, ça change tout ?
C’est vrai que les gens vont porter un regard sur le souvenir des films ou sur le contexte. Du coup, je m’interroge sur la nature de la comédie. Est-ce qu’on peut encore s’installer chez moi aujourd’hui alors que l’époque a changé ? Que les codes de la comédie ont évolué ? Le comique dépend forcément de son temps, mais son essence est permanente. Chaplin, Keaton, Laurel et Hardy font rire aujourd’hui comme au premier jour. Je ne peux pas être passéiste.

C’est particulier quand même : on vous célèbre comme on célèbre les cinéastes morts…
Les gens dans la rue m’arrêtent et me demandent ce que j’ai fait… Que voulez-vous que je leur réponde ? J’ai fait tant de choses : de la comédie clownesque, du dessin, du cinéma, de la musique…. Je ne veux pas être une légende. C’est mortifère et déprimant. Quand je rencontre des cinéastes ou des artistes aujourd’hui, je ressens souvent la volonté de plaire, d’être célèbre ou d’être riche. Tout cela m’indigne. Ce qui est important, c’est de gagner sa vie en faisant ce qu’on aime.

Mais justement, on vous a empêché de faire du cinéma et on a même parlé de vous comme « la chance manquée du cinéma français »...
C’est vrai que j’ai perdu beaucoup de temps. J’ai travaillé huit ans sur un film qui ne s’est jamais fait. A raison de seize heure par jour ; cette expérience m’a épuisé… Mais ce projet en a nourri d’autres, même les déboires les plus graves permettent d’avancer.

Pas de regrets donc ?
Ce qui m’intéresse, c’est demain. Là, par exemple, j’ai un projet de film comique en images 3D, avec un sujet qui se prêterait complètement au format.

Et cette reconnaissance cannoise ?
Cannes glorifie les films de manière éphémère. La gloire, les médailles, je m’en fous ! Ce qui me plairait assez, c’est qu’à travers mes films, une étincelle puisse donner à un jeune cinéaste l’envie de poursuivre dans cette voie, de s’intéresser à la comédie et au slapstick.

C’est amusant de redécouvrir votre film à quelques jours d’intervalle de Godard, votre contemporain…
Un ami m’a fait la réflexion, mais j’ai été dans le creux de la nouvelle vague. A part A bout de souffle, je n’ai rien vu. Entre nous, Godard, je ne l’ai jamais compris. Ni dans ses films, ni dans la vie. A Cannes, il était venu me voir après la projection de Yoyo. Il voulait que je trouve un gag pour un film qu’il préparait. Je lui avais expliqué que je ne pouvais pas trouver un gag comme ça, parce que je faisais des films avec des gags, ce qui est très différent. Mais il m’avait raconté la séquence avec Belmondo dans un champ de Colza, arivant dans une station service et volant une voiture. J’ai cherché, cherché, et j’ai fini par imaginé un truc à partir du pont tournant. Un gag mécanique. Je lui ai raconté quelques jours plus tard et… je ne l’ai plus jamais revu. C’est un homme qui m’émeut dans ce qu’il dit parfois et… et puis c’est tout.