Rose d'Aurélie Saada
Apollo Films

La chanteuse réussit de beaux débuts de réalisatrice avec le portrait d’une septuagénaire reconstruisant sa vie admirablement campée par Françoise Fabian. Rencontre avec une enthousiaste

Avant votre carrière de chanteuse, vous aviez suivi les cours de la Classe Libre du Cours Florent et fait partie du collectif Les Quiche (avec notamment le réalisateur Benoît Pétré et la comédienne Isabelle Vitari), auteur du long métrage Foon. Est- ce que vous aviez en tête de réaliser un long métrage depuis longtemps ?

Aurélie Saada : Les histoires germent longtemps. Quand j’écris, je parle forcément des choses qui m’obsèdent. Et moi je suis obsédée par la pluralité du féminin, par les révolutions intimes, par les parcours de femmes. Quand j’ai eu 30 ans, le père de mes enfants avec qui je vivais depuis des années m’a quitté pour partir vivre à l’autre bout du monde. Je me retrouve seule avec nos deux petites filles et je crois que je ne suis pas capable de vivre sans lui. Je crois que je ne serai jamais heureuse sans lui. Et j’ai même le sentiment d’être déjà vieille. Et puis, la vie m’offre une révolution. Je me mets à écrire. Je fais Brigitte avec Sylvie Hoarau. Et je découvre une force insoupçonnée en moi. Et puis, il y a 5 ans, j’organise un dîner chez moi avec notamment la dernière grand- mère de ma famille. Et à cette même table que j’aime chaleureuse, bruyante avec beaucoup de convives, il y aussi Marceline Loridan- Ivens, une rescapée de la Shoah proche de Simone Veil, une femme incroyable dont il faut lire les livres. Et là je vois ma grand- mère complètement hypnotisée par sa vitalité. Je la vois avoir les joues roses. Je la vois boire de la vodka. Et je me dis qu’elle est peut- être en train de réaliser à ce moment précis que sa vie n’est pas finie, qu’elle n’est pas juste une mère, une grand- mère et une veuve. Qu’elle a le droit encore de jouir de son corps et de son désir. Ca fait écho à ce que j’ai pu ressentir moi, quelque temps plus tôt. Et c’est ainsi que l’aventure de Rose commence. C’était important pour moi de me mettre dans la peau d’une femme de 80 ans car le corps de femme de cet âge et leur désir sont très invisibilisés alors que vieillir est le chemin qu’on prend tous. Donc j’ai fait ce film pour ma grand- mère, pour moi et pour mes filles

Comment cette idée se transforme en film ?

Je sais tout de suite que cette histoire sera un film. Je n’avais pourtant jamais eu de désir d’être réalisatrice de films. Ce n’est donc pas la fonction en elle- même qui m’a donné envie mais une histoire. Il n’y a que les histoires qui m’intéressent. Après, je choisis la forme pour les raconter : un texte, une chanson, un film… Et ce sujet- là était un désir si fort que je n’ai jamais douté que j’allais faire ce film. A aucun moment. Je savais que ça allait être un combat. Mais me battre ça ne me fait pas peur

Vous avez écrit Rose avec Yaël Langmann. Quel type de collaboration avez- vous eu toutes les deux ?

Je l’appelle ma sage- femme ! (rires) Tant elle m’a aidée à accoucher de cette histoire, à aller le plus loin possible. Yaël connaît bien mon univers et pour Rose, c’était une donnée essentielle. On discutait, on refaisait le monde puis on écrivait. Ce ping- pong était essentiel notamment pour tendre vers le plus grand naturel possible dans les dialogues. Pour qu’à l’écran on ait l’impression que les personnages parlent sans réfléchir comme dans la vie. Je le répétais d’ailleurs toujours à mes acteurs : « ne prenez pas de temps ! Car si vos personnages réfléchissaient, ils diraient autre chose que ce qu’ils disent. »

ROSE: MAJESTUEUSE FRANCOISE FABIAN [CRITIQUE]

Quelle est la spécificité de l’écriture cinématographique par rapport à celle des chansons à vos yeux ?

Chez moi, ça part de la même ossature : l’authenticité. Je ne sais écrire que sur les choses que je connais très bien. Je cherche des choses intimes. Je pense souvent à cette phrase du Nouvel Hollywood où le professeur de scénario de Martin Scorsese dit à ses élèves : « n’ayez pas trop la tentation de faire des films avec des flingues. Racontez votre vie même si elle vous semble banale, ça sera toujours plus intéressant que si vous empruntez l’histoire des autres ». Après évidemment qu’écrire une chanson ou un film diffère techniquement. Mais ce qui est important, c’est le noyau.

Quand pensez- vous à Françoise Fabian pour incarner Rose ?

Je me suis mise à penser au casting seulement une fois le scénario terminé. Je voulais  trouver quelqu’un qui ressemble à ma famille. Et je ne voyais qu’une actrice qui avait en elle la gourmandise, la liberté, la pulsion de vie, la joie et le désespoir, le silence et le bruit de Rose tout en ayant l’Orient en elle car elle est née en Algérie et y a vécu jusqu’à ses 18 ans : Françoise Fabian. Je lui ai donc envoyé le scénario puis je suis allée la rencontrer. Là, c’était pour moi une évidence. Alors quand elle m’a dit « promettez moi de ne pas donner ce rôle à une autre actrice que moi. Rose c’est moi. On ne me propose plus de personnages comme ça ; Des femmes de cet âge qui vivent autre chose que d’être des grand- mères », j’étais aux anges. Et elle a raison. On ne montre jamais le rapport au désir de ces femmes- là ou alors on le tourne en dérision dans des comédies.

C’est au même moment que l’idée Pascal Elbé pour camper le rôle du nouvel amour de Rose s’est imposé ?

C’est Françoise qui m’a suggéré son nom. Une idée géniale. Je ne le connaissais pas. Je lui ai envoyé le scénario et il a été très touché. Je sais qu’il l’a fait lire à sa mère qui lui a dit qu’il devait jouer ce rôle absolument, qu’il était important qu’il le fasse.

Comment avez- vous travaillé avec votre directeur de la photo Martin de Chabaneix pour créer l’ambiance visuelle de Rose ?

Je lui ai raconté ce que je voulais : quelque chose d’immersif mais doux, avec une caméra à l’épaule qui nous embarque pour filmer des détails, pour voir le temps qui passe sur des peaux

Vous avez échangé autour de films ?

Oui, le cinéma italien et italo- américain des années 70. Ces films avec du silence dans le bruit où il est souvent question de grandes familles.

Vous vous êtes sentie comment sur ce plateau ?

Vraiment à ma place ! Le tournage fut un moment vraiment heureux. Il y a juste plus d’interlocuteurs que dans les clips que j’ai réalisés et où je m’occupais aussi de la déco, des costumes… J’ai donc sollicité les gens en amont. On m’a expliqué qu’on me montrerait le décor fini or moi je voulais le voir en amont pour tout choisir. Idem pour les costumes ! Et puis il y a eu ces moments très symboliques pour moi des scènes à table. Je n’y suis entourée que de gens proches : ma famille, mes amis chers comme Pénélope Bagieu, Adèle Van Reeth, Nicolas Ullmann qui m’a remis à la musique il y a quelques années quand je croyais que je n’étais pas capable de le faire. C’est ma sœur qui a cuisiné tout ce qui se mange à l’écran. C’était cool d’avoir de la vraie nourriture ! Je n’oublierai jamais ces moments- là.