Elephant Man
Studio Canal

Elephant Man, qui fête ses 40 ans, est le film qui a sorti David Lynch de la marge pour l’exposer en pleine lumière. Il raconte aussi comment l’excentrique cinéaste a fini par ressembler à sa créature.

A l'occasion de sa ressortie en salle, et en Blu-Ray, retour sur le film culte et fondateur de David Lynch.

"Dans dix ans, Des gens comme les autres sera au mieux une réponse au Trivial Pursuit. Alors qu’Elephant Man restera un film à voir", lance Mel Brooks après la cérémonie des Oscars de 1981 qui a vu le long métrage de Robert Redford coiffer au poteau celui de son poulain. Près de quarante ans plus tard, on ne peut évidemment pas lui donner tort, même en sachant, qu’outre Elephant Man, il y avait également dans la course à l’Oscar Tess de Polanski et Raging Bull de Scorsese. Qu’importe, David Lynch, à peine sorti des recoins de son petit hangar où il manipulait à sa guise des créatures cauchemardesques (Eraserhead), s’est ainsi retrouvé en costard à tailler le bout de gras avec les huiles hollywoodiennes. Elephant Man est, certes, un film étrange et personnel, mais fabriqué dans un moule mainstream (distribué par la Paramount aux États-Unis et par la Columbia en Angleterre) et chapeauté par Mel Brooks, dont la folie et les extravagances artistiques savent rester au service d’une logique industrielle. Brooksfilms produira d’ailleurs par la suite La Mouche de David Cronenberg, permettant aussi au Canadien d’affirmer sa singularité au plus grand nombre.

Créature étrange. David Lynch a 34 ans quand il convoite les lauriers des Oscars. Dans le livre d’entretiens avec Chris Rodley (publié aux Cahiers du cinéma), le cinéaste se souvient avec détachement et amusement de cette soirée où il est présenté sur scène comme "un jeune metteur en scène britannique", lui, un petit gars du Montana. "Je savais que ça n’avait rien à voir avec moi. Je faisais la même chose qu’avant. C’est là qu’on comprend que ce qui arrive à un film ne dépend absolument pas de soi.Elephant Man raconte un peu cette histoire-là, celle d’une créature étrange exhibée à la bonne société victorienne qui en fera une sorte de trophée avec toute la condescendance des privilégiés. Les "malformations" de Lynch surgissent, elles, dès les premières minutes du film avec ce portrait en médaillon d’une belle jeune femme (une Laura Palmer avant l’heure ?) sur lequel se superposent des images floues d’éléphants en furie remplissant l’écran de leurs barrissements affolés. Ce monde, c’est l’inconscient du héros, donc du film. Ces éclairs de lucidité heurtés apparaîtront à plusieurs endroits. Lors de projections tests, les pontes de la Paramount voulaient supprimer ces extravagances au nom d’une linéarité souveraine. Mel Brooks réussira à faire taire les sceptiques. Quarante ans plus tard, de telles largesses semblent impensables dans un monde "marvelisé" où les monstres ont été depuis longtemps domestiqués.

Noir et blanc magnétique. Elephant Man – dont StudioCanal propose une nouvelle copie entièrement restaurée image et son – est aussi un film charnière dans l’histoire du cinéma, une de ces œuvres qui tiennent à la fois compte d’un héritage et envoient les signaux du futur. Lynch regarde Tod Browning et Friedrich W. Murnau tout en montrant la voie aux frères Quay, à Tim Burton ou Guillermo del Toro. Elephant Man est ainsi enveloppé d’un noir et blanc magnétique et intemporel signé du génial chef op britannique Freddie Francis. L’hommage dans la dernière partie à La Monstrueuse Parade est particulièrement émouvant. Lors d’une nuit de pleine lune, les freaks du cirque libèrent John Merrick et lui offrent une liberté dont on se demande s’il saura quoi en faire. Justement, après Elephant Man, Lynch va se voir offrir des ponts d’or. Ce sera la super production Dune sur laquelle il va se fracasser. À la fin d’Elephant Man, du haut de sa loge, Merrick se lève devant un parterre de bourgeois qui l’applaudissent à tout rompre. Il se retrouve aussitôt seul dans sa chambre où il meurt. Lynch, lui, va retourner dans son hangar jouer en secret avec ses nouveaux monstres, Blue Velvet puis Twin Peaks.