Le Procès contre Mandela et les autres
UFO Distribution

Rencontre avec les réalisateurs du documentaire événement Le Procès contre Mandela et les autres.

Le Procès contre Mandela et les autres, en salles le 17 octobre, est un documentaire événement : parce que les réalisateurs Gilles Porte (chef opérateur de renom, il a co-réalisé Quand la mer monte avec Yolande Moreau) et Nicolas Champeaux (grand reporter à RFI) ont utilisé des archives inédites du procès de Rivonia en 1964 où Nelson Mandela et ses compagnons de lutte ont été condamnés à la prison à vie. Un tournant de l'histoire. Problème : ces archives sont exclusivement sonores puisque les caméras n'étaient pas autorisées lors du procès. Les réalisateurs ont alors demandé au dessinateur Oerd d'animer les séquences "parlées", et de donner chair et style à la parole des accusés. Film de procès, donc, film d'animation "vraie", film politique où les survivants éclairent notre présent face caméra... Le Procès contre Mandela et les autres est un film riche et passionnant dont les réalisateurs nous expliquent le sens et la conception.

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PREMIERE : Pourquoi avoir voulu animer les séquences sonores ?

Gilles : Dès le début on a voulu faire des séquences d'animation. Le constat était simple : il nous manquait des images. On n'allait pas reconstituer avec des comédiens. Il existait quelques photos et des croquis d'audience. J'avais déjà un peu bossé avec l'animation, et j'ai proposé le nom de Oerd. Il a été emballé. Quand on est partis pour l'Afrique, il avait déjà dessiné deux-trois dessins. On est revenus du pays après dix jours de tournage et avec 17 heures de rushes sous le bras. On a commencé à chercher le financement pendant qu'il commençait à animer, tout seul. Il a réalisé une minute de film en une semaine, pour qu'on puisse le montrer à des producteurs. Et puis le compositeur, Aurélien Chouzenoux, un ami de Nicolas, est rentré dans la danse, ensuite la monteuse Alexandra Strauss : ça a tout de suite connecté, et le film s'est fait entre nous cinq. Tout se fusionne à l'écran de façon hyper cohérente, je trouve.
Nicolas : On a le sentiment de faire un bon film, d'être à la hauteur de ces gens qui ont fait 26 ans de prison pour leur cause. On ne pouvait pas se plaindre si un petit truc ne marchait pas dans notre film. On faisait un film sur celles et ceux qui n 'ont jamais pris la lumière. On savait qu'on allait leur faire écouter leurs propres interrogatoires. On a dû choisir dans les archivec des extraits qui nous semblaient intéressants. On a presque écouter tooutes les 256 heures. On ne voulait pas de voix off : le procureur fait le travail pour nous. Après le premier tournage, on a tout réécrit. On a décidé de suivre et d'exploiter la dramaturgie du procès, qui nous donnait des revirements et des coups de théâtre. On a rajouté aussi la séquence de Walter Sisulu, qui est devenue hyper importante d'un coup...
Gilles : Moi, je ne le connaissais pas au moment du tournage. Et j'ai découvert à quel point le discours de Mandela était imprégné de la pensée de Sisulu... Au début, le film s'appelait simplement « Les Autres ». Nicolas et moi pensions même ne jamais mentionner Mandela. Mais c'était quand même difficile... Mais qui pouvait prendre la parole après Mandela dans le procès ?
Nicolas : Il y a tout dans ce procès. Les traîtres, les héros, le juge, les retournements... L'angoisse des familles dans le public est très palpable. A un moment on entend un verre qui se remplit, le micro de l'époque a capté ce bruit !

Avez-vous retravaillé les sons ?

Gilles : On a rajouté des bruitages comme le bruit de l'étoffe de la robe du procureur. Mais la matière sonore restait forte et riche. Le fond de notre travail était quand même de faire écouter le mieux possible ces archives. On les a nettoyées mais pas trop -il fallait entendre les craquements... La toile derrière les interviewés pour qu'on les entende mieux. Les dessins ne devaient pas être des cartoons, trop exagérés. La musique ne devait pas entrer en rivalité avec les archives sonores. Notre hantise c'était de rajouter du pathos... On a même enlevé des choses. Ça demande du doigté. En tant que chef op je trouvais ça génial d'être confronté à l'absence d'images. On dit souvent que le cinéma c'est 60% d'image et 40% de son, là c'est 80% de son ! C'est souvent l'image qui dicte l'ambiance sur un plateau ; ici c'était le son.
Nicolas : On a gardé le "craquement" pour l'authenticité. C'est le respect de la texture de l'archive, c'est presque du beau son : on entend très bien ce qu'ils disent mais il y a toujours ce grain propre aux belles archives. Le son est nettoyé, mais il fallait respecter la texture et le grain...
Gilles : Tu vois, Nicolas, tu parles de texture et de grain alors qu'on emploie normalement ces termes pour de l'image argentique. Les dessins de Oerd possèdent aussi un grain, comme des fusains. Il a trouvé une matière : au début on pensait à du sépia mais on est restés sur le noir et blanc. On avait pensé au départ à un effet de matière comme une vieille pellicule, avec des rayures, mais ça faisait trop. Encore une fois on a privilégié la sobriété : quand Kathrada parle d'Auschwitz, Oerd nous a proposé de dessiner un train vers le camp. Mais avec Nicolas, on a préféré laisser le visage de Kathrada et sa parole simple. Nicolas voulait vraiment le film sur deux minutes d'écran noir avec les voix, je n'étais pas sûr mais il avait raison : il fallait montrer sur quoi on se basait. On aurait pu ouvrir sur l'histoire de l'arrivée des archives en France, c'était une histoire à part entière, mais non. Le film est très écrit : on l'a même fait relire par un script doctor pour être sûr qu'il fonctionne dramatiquement.

Qui est Oerd, le dessinateur qui met des images sur la voix de Mandela ?

Pensez-vous avoir ainsi rajouté du sens aux archives ?

Gilles : En tous cas ce film a un sens profond : il parle du sens de l'engagement.
Nicolas : Voilà, c'est ça : la mise en forme des archives nous permet d'en tirer une leçon sur l'engagement. ersonne ne s'est vanté des sacrifices qu'ils ont fait, des souffrances endurées. Mais lors d'une lutte pareille, les conjoints souffrent, les enfants souffrent. Même si la cause est louable, il y a toujours quelque chose d'égoïste dans l'engagement à 100%. Vous le faits parce que VOUS l'avez décidé, mais les autres ? Ce sont les autres qui souffrent de votre absence. Les autres souffrent. Pas seulement les accusés du procès. C'est aussi le sens du titre.
Gilles : Les grands mouvements ne sont jamais dirigés pas des personnes seules. Il y a toujours un groupe. On voulait faire découvrir ces archives sonores et à l'arrivée on parle de ces autres"... on assume complètement les choix, dramatiques et cinématographiques, du film. La neutralité n'existe pas.
Nicolas : En revoyant le film -et surtout la scène de fin- j'ai pensé à Buena Vista Social Club, comment quelques mois après le film Ibrahim Ferrer et les autres remplissaient le Carnegie Hall, alors qu'avant ils vendaient des glaces à La Havane... Personne ne les connaissait, et Wim Wenders a su les saisir au bon moment. Ils sont morts peu de temps après.
Gilles : Kathrada et Winnie Mandela sont morts peu de temps après notre tournage. A quatre mois près, il n'y avait plus de film. Nous l'avons montré à des lycéens, à la fac de droit où Mandela et Sisulu se sont rencontrés. Notre film devient une archive.