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La petite révolution de Barry Jenkins est retransmise dimanche soir sur RMC story.

À l'occasion de la diffusion de Moonlight dimanche soir sur RMC story, Première est revenu sur ce qui fait du premier succès de Barry Jenkins un film pionnier. Tout d'abord, c’est le premier long-métrage à décrocher l’Oscar dans de telles conditions – en poussant de la scène ceux qui avaient d’abord été annoncés comme gagnants. Ce n’est évidemment pas de son fait, et symboliquement, que l’équipe du film ait dû rentrer comme par effraction sur la scène du Dolby Theater est incroyablement significatif. Moonlight est un deuxième film, d’un réalisateur quasi inconnu, distribué (aux Etats-Unis) par une toute jeune société, A24, lancée il y a cinq ans avec Spring Breakers d’Harmony Korine et distributeur de Room l’année dernière. C’est un coming-of-age movie, la quête d’identité d’un enfant qui tente de trouver sa place dans le monde – genre assez commun à Hollywood. Ce qui l’est moins, c’est que cet enfant est noir et gay.

Moonlight est une épopée intime et révolutionnaire

Révolution en douceur

Nous sommes en 2017, et Moonlight est un film pionnier car il est le premier Oscar du meilleur film dont le héros est gay. Il est aussi le premier Oscar du meilleur film dont le cast est entièrement noir. Une petite révolution initiée en douceur par Barry Jenkins, dont la délicate mise en scène fait de ce parcours d’un Noir homosexuel ayant grandi dans la misère et le crack, martyrisé à l’école toute son enfance, élevé par une mère junkie, qui devient lui-même un caïd de la drogue et se confronte à la question de la virilité dans cet environnement testostéroné, une histoire universelle, une quête à laquelle chacun pourra, à différents degrés, s’identifier. C’est la grande force de Moonlight, ce qui l’a rendu si précieux aux yeux de l’Académie : il fait tomber bien des barrières au moment où l’Amérique reconstruit des murs (symboliques ou réels), mais avec délicatesse, sans agressivité, sans tout faire péter. Il a suffisamment de qualités pour nous interdire d’avancer qu’il a été sacré meilleur film lundi dernier parce que Donald Trump est président des Etats-Unis ou pour répondre aux Oscars so White. Mais que Moonlight l’emporte sur La La Land, immense film, grand succès, formaté pour plaire à l’Académie (un musical en forme d’ode aux artistes et à Hollywood qui ressuscite les grandes œuvres de l’âge d’or de l’industrie…), est un signal très fort – que rien n’est écrit et que Hollywood peut encore se réinventer.

Pourquoi Moonlight a gagné l'Oscar

Petit budget, petit succès

Pendant la cérémonie, Jimmy Kimmel plaisantait sur le fait que personne n’avait vu Moonlight. Si on espère quand même que les votants de l’Académie des Oscars l’ont vu, le public, lui, ne s’est pas déplacé en masse pour le découvrir. Des neuf nommés à l’Oscar du meilleur film, Moonlight est celui qui a le moins bien marché au box-office, avec un peu plus de 22 millions de dollars récoltés, le premier étant Les Figures de l’ombre, juste devant La La Land, qui ont été beaucoup plus largement distribués : un millier de salles pour Moonlight contre plus de 3000 pour les deux autres.

Oscars 2017 : Les Figures de l'ombre a gagné (au box-office)

Dans l’histoire des Oscars des 40 dernières années, il est le 2e Oscar du meilleur film ayant eu le moins de succès, juste derrière Démineurs (18,6 millions de dollars au box-office en 2009). Son récent Oscar devrait lui redonner un petit coup de boost mais les analystes estiment qu’il ne dépassera pas les 40 millions de dollars en bout de course. Ce qui en fera malgré tout en film sacrément rentable, vu son budget : l’autre record battu par Moonlight est celui du plus petit budget de l’histoire des Oscars. Avec 1,5 millions de dollars (hors marketing), le film de Barry Jenkins est l’Oscar du meilleur film le plus fauché depuis Marty de Delbert Mann en 1955, et l’Oscar du meilleur film le plus fauché de toute l’histoire en dollars corrigés (c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation). Par comparaison, La La Land aurait coûté 30 millions de dollars.

Ironiquement, la morale de cette histoire ressemble à celle délivrée par le film de Damien Chazelle : il faut croire en ses rêves, car ils pourraient bien finir par se réaliser.