Oxygène Alexandre Aja
Netflix

Alexandre Aja signe avec Oxygène un film à suspense claustrophobe, dans lequel Mélanie Laurent joue une amnésique prisonnière d’un caisson de cryogénisation où l’air se raréfie... Plusieurs mois avant la sortie, le réalisateur nous livrait les clés de son premier projet Netflix.

Revenons un peu en arrière. Au départ, Oxygène était un script en anglais très remarqué, qui circulait à Hollywood. Mais vous ne deviez pas le réaliser.
Alexandre Aja : C’est amusant car tout est vraiment une histoire de confinement. Au départ, ce projet était sur la black list [aux États-Unis, les scénarios les plus en vue qui n’ont pas encore trouvé preneur], un script de Christie LeBlanc [une scénariste de série télé] que je devais seulement produire, car j’étais pris par la préparation d’un autre film américain. Sauf que la Covid est arrivée, et j’ai dû rentrer à Paris au moment du confinement de mars. Cette version en anglais d’Oxygène était également à l’arrêt, mais j’avais du temps et j’ai continué à travailler sur le scénario, qui ne parlait que d’enfermement.

Une pure coïncidence, puisqu’il a été écrit il y a cinq ans, bien avant la pandémie.
Oui, mais c’était une mise en abyme de ce qu’on vivait à ce moment-là. Cette réflexion sur l’oxygène, l’air, le fait de respirer... Il y avait une sorte d’évidence. Avec les autres producteurs, on a décidé de l’envoyer à Netflix, qui a très vite réagi. Si on pouvait le faire en France, presque tout de suite, la plateforme nous donnait son feu vert. Donc on l’a tourné l’été dernier dans les studios d’Ivry-sur-Seine, en français, avec Mélanie Laurent. C’est vrai que c’était une chance d’avoir un scénario qui se concentre principalement sur un seul personnage et où, à 80 %, il s’agit de montrer quelqu’un d’enfermé. En période d’épidémie, c’est plus facile à tourner qu’un grand film historique !

Oxygène Alexandre Aja
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Mais il a donc fallu que vous adaptiez le scénario en langue française. Il a beaucoup changé ?
Pas tant que ça. On y suivait déjà cette femme qui a oublié son identité. Dans un futur proche, elle se réveille enfermée dans un caisson de cryogénisation, et se demande ce qui s’est passé, pourquoi on l’a mise là et surtout comment en sortir avant de manquer d’oxygène. Il y avait un petit côté 28 jours plus tard qui me plaisait beaucoup. Et sans trop en dire, le scénario, avant même la Covid, contenait déjà une partie épidémique. Évidemment, la situation sanitaire nous a donné des éléments qu’on n’attendait pas : tout à coup, il y a eu une sorte d’éducation mondiale sur ce qu’est une pandémie. On pouvait aller plus loin, et surtout tenir compte des avancées scientifiques. 

Qu’avez-vous vu chez Mélanie Laurent qui vous a donné envie de lui confier ce rôle sur lequel le film entier repose ?
Je voulais travailler avec elle depuis longtemps. On s’était croisés à l’époque d’Inglourious Basterds, grâce à Quentin Tarantino. C’était l’actrice qui me semblait la plus crédible et capable d’incarner le personnage comme je l’entendais. Car même si elle ne sait pas qui elle est, son passé est très intéressant et son identité assez particulière... Il fallait que ce soit complètement réaliste. C’est un scénario qui contient beaucoup de rebondissements très forts et, quand on le tourne, on se demande toujours comment brouiller les pistes au mieux. Un peu comme Memento de Christopher Nolan : il y a bien sûr la mise en scène, mais c’est principalement sur la performance de l’acteur que ça se joue. Il était essentiel que ce soit quelqu’un comme Mélanie, qui ait cette capacité à rendre tout ça crédible. Elle a tout de suite eu une connexion très profonde avec le texte et son sens. Ce n’était pas un film facile pour elle, elle a dû jouer des semaines allongée dans cette boîte, à se battre... À mon avis, les gens vont être très impressionnés par sa performance.

Oxygène Alexandre Aja
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Comment décririez-vous Oxygène ? C’est un film de science-fiction ? Un thriller ?
Un peu des deux, mais je dirais surtout que c’est un film à suspense comme l’était Crawl. C’est-à-dire quelque chose de vraiment haletant. De la pure survie.

Vous le voyez comme un exutoire pour le spectateur ?
Ah oui, vraiment. J’ai vite compris que c’était une nécessité pour moi de faire ce film. Il avait quelque chose de salvateur. Me retrouver à travers ce personnage, dans cette situation d’enfermement, tout en m’accrochant dans la réalité à la vie extérieure, c’était vertigineux... Je crois que ça va parler à pas mal de monde.

Comment filme-t-on l’enfermement extrême ? Il y a dans votre cinéma une grande précision dans la gestion de l’espace, mais là, vous deviez être littéralement contraint dans vos mouvements de caméra...
Alors ça, c’était vraiment un défi. Avec mon directeur de la photo, Maxime Alexandre, on a senti dès la lecture du scénario que ça allait être compliqué. Et finalement, c’était encore plus difficile que je ne l’imaginais ! Mais ce qu’on a réussi à faire – j’espère –, c’est de ne jamais se répéter, de ne jamais
être en boucle.

Il y a des astuces pour y parvenir ?
J’ai revu à peu près tout ce qui a été tourné sur le fait d’être enterré vivant, afin de comprendre la meilleure façon de raconter cette histoire. Oxygène, ce n’est pas Buried [de Rodrigo Cortés, 2010]. On n’est pas dans un cercueil, ce qui ouvre le champ des possibles. L’action se situe dans une unité médicale, certainement dans un hôpital. Il y a plein d’indices scientifiques et beaucoup d’objets qu’on a pu utiliser pour  faire comprendre ce qui est arrivé. J’aimais l’aspect escape game qui est évidemment ludique, même s’il est terrifiant car l’oxygène baisse et qu’on risque l’asphyxie. C’est intéressant, cette course contre la montre... Mais techniquement, dès le départ, je me suis dit qu’on devait se servir de tous ces différents styles de mise en scène – d’astuces de mouvements – qu’on utilise rarement au cinéma parce qu’ils sont très dans « l’effet » : le zoom, la rotation, le travelling contrarié... Comme on est ici dans un cadre où la continuité est établie par un personnage que l’on suit à chaque instant, on avait l’opportunité de piocher dans l’intégralité de la boîte à outils, pour pouvoir diversifier et intensifier la tension.

Oxygène Alexandre Aja
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Le personnage de Mélanie Laurent communique verbalement avec l’intelligence artificielle de son caisson, qui est incarnée par Mathieu Amalric. Qu’est-ce que vous vouliez dire à travers sa voix ?
Mathieu, c’était l’évidence. Il a une des plus belles voix depuis Jean-Louis Trintignant. Quelque chose de grave, de posé... J’avais en tête une idée d’ASMR, donc d’une voix douce, d’un enregistrement fait pour calmer, extrêmement zen, et qui est d’ailleurs presque devenu un fétiche. Comme cette intelligence artificielle vient du domaine médical, sa voix est un peu là pour nous enfumer, nous garder à un certain niveau de relaxation. Avec en toile de fond tous ces paradoxes que j’aime beaucoup, ces questions qu’on commence à se poser sur les voitures autonomes, par exemple : est-ce qu’il vaut mieux que l’IA décide écraser un enfant qui surgit sur la route, ou bien de l’éviter et de rentrer dans un bus et tuer trente personnes ? Depuis HAL 9000 dans 2001, l’odyssée de l’espace, ça nous fait fantasmer jusqu’à être devenu une réalité aujourd’hui. Je voulais interroger la froideur absolue des choix d’une intelligence artificielle. Donc Mathieu avait des tas de subtilités intéressantes à jouer.

Comment travaille-t-on la notion d’oppression et d’enfermement avec la matière sonore? En voyant les quinze premières minutes, je me disais que l’expérience serait peut-être encore plus forte au casque.
(Rires.) C’est la grande question. On va travailler sur un mixage surround Atmos complet, mais qui est équipé en Atmos chez soi ? J’espère quand même quelques personnes! (Rires.) Il est vrai qu’il y a au cœur du sujet d’Oxygène un questionnement sur l’enfermement du son. On dit que dans un film d’horreur, 50 % de l’effet passe par le son. Ça pourrait être encore plus vrai pour Oxygène ! Ce qui est très clair, c’est qu’il y a eu ces dernières années une démocratisation des casques audio de qualité. Et, effectivement, peut-être que l’expérience du film au casque sera très forte. Avant Crawl, j’ai réalisé deux courts métrages pour les casques de réalité virtuelle Oculus. Et ces expériences à « double casque » – devant les yeux et dans les oreilles – avaient quelque chose d’assez jouissif, parce qu’on touche aux zones ultimes de l’immersion du spectateur.

C’est votre premier film pour Netflix et pour une plateforme tout court. Ça vous questionne, la taille de l’écran sur lequel Oxygène sera regardé ?
Le voir en très grand, c’est évidemment toujours mieux. Mais je n’ai pas eu l’impression d’abandonner le cinéma en allant chez Netflix, au contraire. Et puis la question du rapport à l’écran m’intéresse. Dans Oxygène, l’enfermement fait qu’on est toujours extrêmement proche du personnage. Donc quand on regarde ce film sur un écran de taille moyenne, on est presque dans une sorte de rapport à l’échelle du personnage, ce qui est finalement une perspective assez passionnante. Je crois que l’immersion se crée aussi autrement qu’avec la taille de l’écran. Ça passe par la narration, la mise en scène, le jeu... Ce n’est pas pour rien qu’un bon Stephen King peut nous terrifier même quand on le lit dans un bus ! On a une capacité à s’échapper dans des histoires. Après, c’est aux auteurs de créer les conditions pour que ça se produise.

Oxygène, sur Netflix le 12 mai.