Les 8 Salopards
2015 The Weinstein Company

En exclu pour Première, QT sort les flingues.

Mise à jour du 6 juin 2020 : Retrouvez l'entretien que nous avait accordé Quentin Tarantino pour la sortie des Huit Salopards, diffusé pour la première fois en clair ce dimanche sur Arte. 

Article du 5 janvier 2016 : Les 8 Salopards est votre long-métrage qui contient le plus de références au reste de votre œuvre et, pourtant, on en ressort avec la sensation d’avoir vu votre film le plus original…
Intéressant… Vous pouvez élaborer ?

Le début dans la diligence, juste après Django Unchained, place le spectateur en terrain connu. Ensuite, lorsque les personnages arrivent dans l’auberge, on pense à la première scène d’Inglourious Basterds. Le speech que Samuel L. Jackson y délivre à Bruce Dern renvoie directement à la scène des Siciliens dans True Romance… Sans oublier l’ambiance à la Reservoir Dogs que vous êtes le premier à souligner…
La même chose m’était arrivée lorsque j’écrivais la séquence d’Inglourious Basterds dans la cave. Je me souviens avoir posé mon stylo en pensant : « En fait, c’est Reservoir Dogs, mais dans un sous-sol en Allemagne. » Ce n’était pas intentionnel de ma part, mais oui, la structure des 8 Salopards fait à nouveau écho à celle de Reservoir Dogs une fois que nous sommes dans l’auberge : les personnages débarquent un par un, se présentent sans qu’on sache vraiment s’ils disent ou non la vérité et, juste avant le troisième acte, un flashback vient tout remettre en perspective.

La bande originale des 8 Salopards

C’est aussi là que Les 8 Salopards devient original, et s’impose en quelque sorte comme votre premier film d’horreur, évoquant de manière totalement inattendue Evil Dead.
J’ai récemment reconnecté via internet avec une ex-petite amie, que je fréquentais avant de tourner Reservoir Dogs. Je l’ai invitée à venir voir le film et, à l’issue de la projection, elle a demandé à m’interviewer pour son blog culturel. Elle a été la première à me faire la remarque pendant l’entretien, avançant l’idée que Les 8 salopards est en apparence mon deuxième western mais qu’au fond, il s’agit avant tout de mon premier vrai film d’horreur. Quand on y pense, la musique d’Ennio Morricone s’apparente d’ailleurs plus à celle d’un film d’horreur qu’à un score de western spaghetti. On est plus proche de The Thing que de Sergio Leone… Et puisqu’on parle du classique de John Carpenter, les multiples clins d’œil à The Thing dans Les 8 Salopards, plus ou moins conscients, n’ont pas dû vous échapper : Kurt Russell, les personnages coincés dans cette cabane par une tempête de neige, la paranoïa, les faux-semblants, jusqu’à cette explosion de violence finale… Le plus intéressant, dans tout ça, c’est que Reservoir Dogs, à l’époque, était mon hommage à The Thing, sans la neige, les effets spéciaux, et Kurt Russell.

Vous bouclez la boucle ?
Il y a de ça. Même si je me sers de ces références pour dire complètement autre chose aujourd’hui. Les 8 Salopards tente de livrer un constat sincère sur l’Amérique au lendemain de la Guerre de Sécession.

On sent que votre filmographie a pris un tournant délibéré après Boulevard de la mort, comme si vous étiez dorénavant plus concerné par la grande histoire que par votre obsession du « cool ».
Indéniablement. Mais j’ai entamé ce nouveau chapitre presque malgré moi, puisqu’à chaque fois, c’est le genre qui a été ma porte d’entrée. Avec Reservoir Dogs et Pulp Fiction, j’ai livré ma version du film de gangsters ; Jackie Brown était mon hommage à la Blaxploitation ; Kill Bill, ma lettre d’amour au cinéma d’arts martiaux ; et Boulevard de la mort revisitait les films de poursuite des années 70. Lorsque vous vous attaquez à un sujet aussi puissant que la Seconde Guerre mondiale, un événement qui a profondé- ment changé la face du monde, et même si c’est à travers un récit d’aventures comme Les Canons de Navarone, vous êtes obligé d’examiner vos sentiments vis-à-vis de ce conflit. Utiliser le western spaghetti pour aborder le problème de l’esclavage a été mon intention dès le départ avec Django Unchained. Dès lors, votre cinéma devient instantanément politique. Une dimension, qui, je pense, ne va cesser de s’accentuer.

Cette évolution a trouvé un écho assez spectaculaire auprès du public : Inglourious Basterds et Django Unchained sont de loin vos plus gros succès au box-office.
Je pense qu’il m’aura fallu dix ans pour devenir autre chose que « le type qui a réalisé Pulp Fiction ». C’est compréhensible. Et même s’ils ont rapporté plus d’argent, je sais qu’Inglourious Basterds et Django Unchained n’ont pas touché le zeitgeist comme avait pu le faire Pulp Fiction. Mais on parle d’un phénomène comme il s’en produit peu, et j’ai une chance inouïe d’avoir connu ça au moins une fois dans ma carrière. Je suis d’autant plus fier du succès de ...Basterds et de Django... qu’ils s’inscrivent tous deux dans des genres qu’on disait moribonds au box-office. L’échec de Valkyrie (Bryan Singer) six mois auparavant n’était pas de bon augure pour un film sur la Seconde Guerre mondiale, et peu de gens auraient misé sur un western – surtout avec un acteur noir dans le rôle principal – lorsque Django Unchained est sorti.

On a entendu beaucoup d’histoires à propos de la genèse chaotique des 8 Salopards, que vous aviez failli ne pas tourner après le piratage d’une première version du scénario sur le Net. Comment l’idée du script vous est-elle venue à l’origine ?
Je n’ai jamais sérieusement envisagé de tourner une suite à Django Unchained, mais l’idée d’une série de romans, qui prolongeraient ses aventures et pourraient se dérouler aussi bien lorsqu’il était esclave que dix ans après la guerre de Sécession, me séduisait énormément. J’avais donc commencé à rédiger une histoire intitulée Django dans l’enfer blanc, qui débutait dans une diligence. Le personnage de Daisy (interprété par Jennifer Jason Leigh dans Les 8 Salopards) était là, John Ruth (Kurt Russell) aussi, et, avec Django, ils se dirigeaient vers une auberge où le héros allait devoir résoudre un mystère. Il y a deux ans, alors que j’étais au festival de Morelia, au Mexique, où les organisateurs avaient aménagé un espace sur le toit de mon hôtel pour que je puisse écrire, j’ai réalisé que cette histoire m’enthousiasmait trop pour être un roman – elle allait devenir celle de mon prochain film. Une conclusion s’est alors imposée : j’allais devoir retirer Django de l’intrigue. Pour fonctionner pleinement, elle ne pouvait pas tourner autour d’un personnage aussi héroïque. Son passé devait être ambigu, à l’instar des autres protagonistes. C’est là que j’ai imaginé le Major Warren, qui est tout aussi iconique à mes yeux, mais à la manière d’un Lee Van Cleef revu et corrigé par Sam Jackson. (Rire.)

Avez-vous écrit le reste du scénario avec ces acteurs en tête – Tim Roth, Michael Madsen – et l’idée de composer un cast qui s’apparente à un véritable Tarantino All-Star ?
Oui, c’est d’ailleurs comme ça que je les ai surnommés, figurez-vous, les Tarantino All-Star. J’étais en plein dans l’écriture du scénario lorsque le festival Lumière de Lyon m’a invité pour y recevoir le Prix Lumière (en octobre 2013). Tim, Harvey (Keitel), Uma (Thurman) et d’autres personnes avec qui j’ai travaillé par le passé avaient fait le déplacement pour assister à la cérémonie. J’étais conscient de l’honneur qui m’était rendu, mais je ne savais pas à quel point j’allais être touché par leur affection. Après Reservoir Dogs et Pulp Fiction, je pense que beaucoup de monde, moi le premier, avait identifié Tim Roth comme mon acteur fétiche, imaginant que cette collaboration allait se prolonger jusqu’à la fin de nos carrières. On avait failli se retrouver sur Inglourious Basterds, mais à l’époque, il était pris sur sa série TV (Lie to Me). Quand j’ai commencé à rédiger les scènes des 8 Salopards se déroulant dans l’auberge, juste après le festival de Lyon, j’ai su que le moment de réparer cette erreur était enfin arrivé. J’ai écrit le personnage d’Oswaldo pour Tim, de la même manière que j’ai imaginé celui de Joe Gage pour Michael Madsen.

Une raison de plus de voir Les 8 Salopards comme un point culminant, un carrefour dans votre carrière…
Absolument.

Du coup, quelle serait la prochaine étape ?
On verra. Il me faut toujours un peu de temps avant de penser à la suite. Cela dit, je détiens les droits d’un livre que j’ai envie d’adapter depuis longtemps et le moment est peut-être enfin venu de m’y atteler. Il s’agit de Forty Lashes Less One, d’Elmore Leonard (publié en France sous le titre « Le Zoulou de l’Ouest »), qui pourrait devenir mon troisième western. Par contre, je l’envisage plutôt comme un projet télé, et non pas comme un film de cinéma, sous la forme d’une minisérie de quatre ou six heures.

C'est en effet surprenant que quelqu’un comme vous, qui a toujours trop de matière pour ses scénarios, n’ait pas encore développé de série TV…
À chaque fois que je prépare un film, je me vois déjà tourner des suites, puis des prequel, jusqu’au moment où je décide de passer à autre chose. Mais pendant plusieurs mois, c’est : « Oui oui, je vais faire un troisième Kill Bill, puis un autre, et ensuite, Kill Bill – Origins ! » (Rire.)

J’en déduis qu’il est temps pour les fans de Kill Bill de faire le deuil d’un troisième volume ? 
(Il reprend son sérieux.) Ne jamais dire jamais lorsque l’on parle de Kill Bill... 

Vous comptez toujours raccrocher les gants après dix longs métrages ?
L’avantage, si je fais cette minisérie d’après Elmore Leonard, c’est qu’elle ne rentrera pas dans le décompte. Il me restera toujours deux films à tourner.

Vous avez déjà un peu triché en présentant Les 8 Salopards comme votre huitième long métrage. Doit-on en déduire que vous considérez les deux volumes de Kill Bill comme un seul film ?
Exactement. Je vous ai juste fait acheter deux billets au lieu d’un. (Rire.)

Vous arrivez à revoir vos films ?
Cela ne me pose aucun problème, au contraire. En général, je dirais qu’il ne s’écoule pas dix-huit mois sans que j’aie revu l’intégralité de ma filmo au moins une fois. Dès que je tombe sur un des films en zappant sur le câble, vous pouvez être sûr que je vais en regarder plusieurs scènes. Dans mon cinéma, le New Beverly (une salle mythique de Los Angeles qu’il a rachetée en 2007), on propose tous les vendredis ce qu’on appelle les « Tarantino midnight » : pendant un mois, un de mes films est projeté chaque vendredi à minuit et j’assiste régulièrement aux séances pour le regarder en compagnie du public.

Vous n’êtes jamais frustré en redécouvrant certaines scènes de Reservoir Dogs ou de Pulp Fiction ?
Je ne vais pas vous mentir : j’adore mes films, et je prends énormément de plaisir à les revoir. Certains choix de mise en scène dans mes premiers longs me sautent évidemment aux yeux, et j’en ferais des différents aujourd’hui. Pourtant, quel que soit leur degré d’amateurisme, je ne changerais ces séquences pour rien au monde car elles me renvoient au cinéaste que j’étais à l’époque. Je ne le suis plus, mais j’ai une grande affection pour lui.

Donc dix films et puis s’en va, c’est votre dernier mot ?
C’est toujours d’actualité. Pour l’instant, en tout cas. Encore plus que Pulp Fiction, Kill Bill est l’œuvre dans laquelle mon idée du cinéma s’exprime à 3 000 %. On peut ne pas aimer le film, mais je ne pense pas qu’on puisse nier le fait qu’il témoigne d’une certaine vision. Après avoir remis les compteurs à zéro avec Boulevard de la mort, mon style a pris un virage de plus en plus littéraire. Une fois arrivé à ces dix films, je pense que je me tournerai vers l’écriture de romans, de livres consacrés au cinéma et de pièces de théâtre que je mettrai sans doute en scène. Je vois ce parcours comme une évolution plus qu’un « abandon ». Je ne veux pas devenir un de ces réalisateurs vieillissants qui continue à tourner parce qu’il ne sait rien faire d’autre. J’aime l’idée d’être un artiste qui n’est pas là éternellement, mais seulement pour une période donnée au cours de laquelle je resterai en pleine possession de mes facultés, et que mes films, de Reservoir Dogs au dernier, soient reliés par un même cordon ombilical. Au-delà de dix longs métrages, je ne sais pas si je serai capable de maintenir le même degré de concentration. Je tiens à partir au sommet, peut-être pas de ma gloire, mais de mes aptitudes. Et, pour être tout à fait honnête, la perspective de vous laisser sur votre faim me réjouit assez.

Interview Mathieu Carratier

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