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Ce qu’il faut voir ou pas en salles cette semaine.

PREMIÈRE A AIMÉ

Poesia sin fin ***
De Kleber Mendonça Filho

L’essentiel
Alejandro Jodorowsky signe un nouvel hommage vibrant à sa jeunesse.

Trois ans après son stupéfiant retour La danza de la realidad où Jodorowsky faisait preuve à 80 ans d'une énergie et d'une inventivité à rendre jaloux beaucoup de  jeunes cinéastes, le voilà qui reprend son récit autobiographique là où il l'avait laissé. Alejandro adulte est désormais incarné par Adan, le propre fils de Jodo et auteur de la musique et le récit initiatique qui suit perd en symbolisme ce qu'il gagne en sensibilité.
Gérard Delorme

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Mercenaire ***
De Sacha Wolff

Soane, rugbyman de 16 ans venu de Walliset-Futuna, débarque en métropole, dans le Nord, vendu à une équipe de seconde zone. Il va essayer de survivre entre les magouilles des clubs et celles des entraîneurs.
Pour son premier long métrage, Sacha Wolff a choisi un sujet à la fois original et d’une évidence frappante : le destin de jeunes rugbymen polynésien négociés comme des bestiaux dans le mercato minable de l’ovalie du « ch’Nord ». Formellement, le réalisateur colle au plus près des corps avec un oeil clinique et précis, dans une ambiance de film noir (plutôt grisâtre) français à la Jacques Audiard, pour aboutir à un cinéma qui se veut le trait d’union entre l’anecdote documentaire et la tragédie bigger than life. Mais ce qui domine l’ensemble est la passion évidente de Sacha Wolff pour filmer le corps de cinéma inédit du formidable Toki Pilioko (acteur non professionnel aussi jeune que le  personnage qu’il joue). Cette masse tatouée aux yeux innocents surgie de la mer conduit l’action, donne un cadre au film et finit par tendre à la dimension mythologique. Cet aspect est souligné par l’abondance de rituels (les chants d’avant-match, le syncrétisme de la religion polynésienne entre christianisme et paganisme, la violente séance de tatouage à Lourdes et la musique d’orgues) mais aussi par l’épilogue homérique – référence explicite à L’Odyssée – qui achèvent de transformer l’essai de cet impressionnant premier long. Dans le genre c’est ce qu’on appelle un coup de maître.
Sylvestre Picard

Une vie entre deux océans ***
De Derek Cianfrance

Vétéran de la Grande Guerre, Tom Sherbourne accepte un poste de gardien de phare sur une petite île, au large de l’Australie. Avec son épouse il vit le bonheur parfait, entaché cependant par deux fausses couches successives qui rendent la jeune femme dépressive. Un miracle se produit alors. Il y a comme une évidence à voir Derek Cianfrance adapter le best-seller de M.L. Stedman. Lui qui avait autopsié la fin d’une passion (Blue Valentine) et embrassé une tragique saga familiale (The Place Beyond the Pines) était tout désigné pour raconter le destin contrarié de Tom et Alice Sherbourne, ces amants magnifiques sur lequel le sort s’acharne. Derek Cianfrance le maniériste pousse tous les curseurs du  mélodrame à fond et accouche d’une oeuvre où la flamboyance de la forme n’a d’égale que la désespérance des personnages, prisonniers  d’un funeste mensonge qui les ronge de l’intérieur. Après Ryan Gosling, c’est au tour de Michael Fassbender d’incarner la virilité fragile et fétichisée par le regard sensible du réalisateur.
Christophe Narbonne

Chouf ***
De Karim Dridi

Il y a du The Wire dans cette plongée au cœur du trafic de drogue marseillais. Comme dans la série de David Simon sur Baltimore, Karim Dridi refourgue de la vérité documentaire sous le manteau du polar urbain, en le coupant à la tragédie antique, au drame social, au western… Le tout avec une pure efficacité de thriller. Aimanté par le désir de vengeance, l’intello Sofiane sacrifie ses rêves de diplôme pour retrouver l’assassin de son frère, au sein d’une pègre locale peuplée d’amis d’enfance. Là, il peut appliquer au deal de shit ce qu’il a appris en école de commerce (façon Stringer Bell) tout en remontant la piste de sa proie. Un film hyper incarné, plein de trognes et de bagou. De la frappe !
Eric Vernay

Dead slow ahead ***
De Mauro Herce

Le périple en mer d’un cargo – dont les machines fonctionnent en continu – rythme ce documentaire à l’hypnotisante maîtrise visuelle qui contribue à transformer les membres d’équipage en simples rouages de l’appareil. Échouant dans des ports anonymes ou de vastes étendues désertiques, le bateau donne ainsi l’impression, comme l’explique son réalisateur Mauro Herce, de constituer « le dernier navire de l’espèce humaine ». La réussite du film tient alors à sa façon de distiller une atmosphère de douce apocalypse sans avoir recours à des images de destruction ou autres voix off pétrifiantes ; il suffit de quelques plans pris d’un marin essayant d’entrer en communication radio avec sa famille pour ressentir toute la déconnexion métaphysique.
Damien Leblanc

Les films au cinéma du mercredi 05.10.2016 par PremiereFR

PREMIÈRE A PLUTÔT AIMÉ

Bridget Jones Baby **
De Sharon Maguire

Grand retour de la célibataire londonienne et surtout de Renée Zellwegger à l’écran, Bridget Jones Baby réussit au moins sur un point : dépasser L’âge de raison, suite ratée produite dans la foulée de l’énorme succès du premier film. Bridget est de retour donc, Mark Darcy et le je t’aime moi non plus aussi, mais pas Daniel, dont le personnage de charmeur à tomber raide est remplacé par Jack, bel Américain providentiel incarné par Patrick Dempsey. Un nouveau venu absolument accessoire, que le scénario n’utilise jamais autrement que comme un trophée qui déclenche l’intrigue : Bridget ayant couché avec lui à quelques jours d’écart seulement d’une nuit avec Mark, il se pourrait qu’il soit le père du « baby ». Pour le reste, Bridget Jones n’a pas changé (et Renée Zellwegger la retrouve d’ailleurs avec une apparente facilité) : elle est toujours travaillée par les mêmes angoisses physico-existentielles mais a simplement une autre façon de les gérer, comme en témoigne la scène d’ouverture en forme de clin d’œil au premier film. Toujours en quête du prince charmant donc, envers et contre toutes ses tentatives d’émancipation, elle continue d’agir à rebours des idées féministes – une position affirmée dans une des seules séquences à la mise en scène forte où on la voit marcher à contre courant d’une manif de femens. Une figure se charge cependant de contrebalancer ce discours un peu réac, celle de la gynécologue écrite et incarnée par Emma Thompson, auteur des meilleures punchlines de cette comédie que rarement drôle, qu’elle balance avec une précision imparable. Avec ses airs consternés et son manque total d’empathie envers les deux hommes qui se disputent le cœur de Bridget et la paternité de l’enfant, l’actrice britannique prend en charge la comédie ET le message du film. On lui confierait bien l’écriture du prochain volet.
Vanina Arrighi de Casanova

La philo vagabonde **
De Yohann Laffont

Yohan Laffont signe un documentaire jubilatoire sur un charismatique professeur de philo anarchiste. Dommage qu’il ait laissé son oeil critique en chemin.
Mathias Averty

Les Pépites **
De Xavier de Lauzanne

Retraçant les actions du couple de Français qui a créé l’association Pour un Sourire d’Enfant (laquelle porte depuis vingt ans assistance à des milliers d’enfants défavorisés du Cambodge), Xavier de Lauzanne navigue entre images d’archives et interviews au temps présent qui prouvent combien l’accès à l’éducation a porté ses fruits et sauvé des vies. Si le cinéaste, déjà auteur du réjouissant D’une seule voix, souhaite mettre en avant l’émotion suscitée par ces liens familiaux de substitution, sa démarche prend une forme parfois convenue qui relève plus du récit hagiographique que du documentaire engagé.
Damien Leblanc

Le Cancre **
De Paul Vecchiali

Franc-tireur du cinéma français, Paul Vecchiali, 86 ans, tourne ses films à la marge, sans l’argent du CNC, chez lui, entouré d’acteurs fidèles. Cette économie de moyens se ressent à l’image : la photo est plate, les décors sans charme, la mise en scène fonctionnelle. À l’instar de certains de ses héros (Pagnol, Guitry), Vecchiali fait la part belle au texte et aux acteurs. Portrait d’un vieux misanthrope qui se souvient de ses amours passées, Le Cancre est un fi m d’un autre âge dans lequel Françoise Arnoul dit « J’ai aimé le cancan » ou qui montre Catherine Deneuve (oui, le casting féminin est dingue) devant une photo de l’ami Jacques Demy. Étrangement, un certain charme rétro  opère.
Christophe Narbonne

Miss Peregrine et les enfants particuliers  **
De Tim Burton

Dans l'héritage de son grand-père, un adolescent trouve une série de photos en noir et blanc montrant des monstres de foire dotés de capacités surnaturelles. Il finit par trouver leur sanctuaire, une maison gothique figée dans un autre espace-temps (le blitz de 1941) tandis que des monstres cannibales sont sur leur trace. La série de bouquins Miss Peregrine signée Ransom Riggs donnant à fond dans le genre timburtonien, il est peu surprenant que ce soit Burton qui réalise l'adaptation cinéma, mutatis mutandis. En parlant de mutant, le résultat ressemble bel et bien à un X-Men version Tim le fou. Pouvoirs bizarres, visions tordues (les monstres qui dévorent une assiette d'yeux fraîchement arrachés), contrastes visuels aussi lumineux qu'évidents (des jumeaux monstres jouent sur une pelouse d'un vert éclatant), récit de l'adolescence vue comme l'acceptation de la monstruosité (du monde comme de soi), musique frissonnante à la Elfman ; bref, tout Burton est là-dedans. Proche de l'univers de son recueil de dessins et poésies La Triste fin du petit enfant huître, le réalisateur est ici à son meilleur, dans une forme qu'on ne lui a pas connue depuis un bail, même s'il se relâche sur la fin avec cette baston ultime dont la forme -hommage à Ray Harryhausen- est desservie par la musique techno. Très bien servi par une Eva Green impériale (sa nouvelle muse) en femme-corbeau fumeuse de pipe maniant l'arbalète, et par l'excellent Asa Butterfield (ex-Hugo Cabret) parfaitement saisi au moment volatil et gauche des années teenage, Miss Peregrine et les enfants particuliers ressemble ainsi à une espèce d'album best of d'une rock star qui vit confortablement sur sa notoriété. Mais même si le style est devenu procédé, il n'est pas interdit d'en apprécier les riffs. 
Sylvestre Picard

PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ

Le ciel attendra *
De Marie-Castille Mention-Schaar

On n’attendait pas Marie-Castille Mention-Schaar (Bowling, Les Héritiers) sur le sujet du terrorisme, qu’elle aborde à travers le prisme de l’embrigadement de jeunes Françaises. En évoquant en parallèle le cas de Sonia, en phase de déradicalisation, et celui de Mélanie, qui succombe aux sirènes du fondamentalisme, la réalisatrice s’attache à couvrir le spectre de cette problématique de façon à peu près cohérente. La présence à l’écran de Dounia Bouzar, figure médiatique du « désembrigadement », contribue malheureusement à rendre le propos plus didactique et édifiant que palpitant.
Christophe Narbonne

Vino Veritas *
De Pascal Obadia

À la manière d’une Coline Serreau sur le sujet de l’agriculture, Pascal Obadia explore dans ce documentaire les vignes d’Europe pour dénoncer le « tout chimique » et encourager les méthodes de production alternatives. L’ensemble constitue un road-movie éthylique, pourtant non dénué d’humour et qui aurait pu être un grand cru si la réalisation n’était pas ici aussi insipide.
Mathias Averty

Et aussi
Monsieur Bout-de-Bois de Jeroen Jaspaert
Rédemption, l’histoire de James Pearson de Paul Diffley
Don’t Breathe- La Maison des ténèbres de Fede Alvarez
This is Not a Coup – Just  another day in the EU d’Aris Chatzistefanou

Et les reprises de
Mirage de la vie de Douglas Sirk
L’histoire officielle de Luiz Puenzo