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A Cannes, on a beaucoup parlé du film de Walter Salles, Sur la route, adaptation sage mais visuellement sublime du roman culte de Jack Kerouac. On s'est surtout focalisé sur la performance sexy (et partiellement dénudée) de Kristen Stewart pour saluer spécialement sa scène de partouze entre Sal (Sam Riley) et Dean (Garrett Hedlund). Pourtant, une autre scène choc est passée sous silence. Dans la dernière moitié du film, Hedlund nu sodomise vigoureusement Steve Buscemi. Une scène incroyable dans ce qu'elle montre, mais surtout dans ce qu'elle donne à voir des personnages. Car si Salles rate partiellement son travail d'adaptation, Sur La route est un beau film d'initiation (sexuelle, mystique et sentimentale) dans lequel les scènes de sexe fonctionnent comme les stations de la (progressive) prise de conscience du personnage principal. C'est donc dans ce contexte qu'intervient cette scène homo...Un journaliste de Vulture s'était entretenu à Cannes avec l'équipe du film et avait notamment évoqué cette séquence controversée. Controversée parce que si toutes les scènes hétéro du film sont d'une liberté et d'une beauté solaire, cette scène homo montre la seule relation "tarifée" du film (c'est parce qu'il couche avec le personnage de Steve Buscemi que Dean, accompagné de Sal, peut reprendre la route) et marque le début de la perte d'affection de Sal pour son meilleur ami. Une scène courte, violente et où l'on voit le personnage de Sal arborer un air... dégoûté. Forcément, comme il s'agit de la seule scène gay du film, beaucoup de journalistes se sont posé des questions sur le sens à lui donner. Sam Riley (qui joue Sal) expliquait alors à Vulture qu'il y voyait surtout "beaucoup de jalousie. Je sais que dans la vraie vie, Kerouac et Cassady ont couché ensemble, mais à ma connaissance, peu fréquemment. Leur relation était de l'ordre de l'admiration et de la compétition, un amour fraternel en quelque sorte".Cette scène pose au fond le problème du rapport de Kerouac à l'homosexualité - qui n'a jamais été très claire et fut même pour le moins ambiguë. Contrairement aux poètes gays de la Beat génération, comme William Burroughs et surtout Allen Ginsberg, cette pratique sexuelle n'a jamais constitué le fondement de sa révolte. Pire, si l'on croit Burroughs, Kerouac était au fond un vrai réactionnaire : "il a toujours été conservateur... Il y avait deux personnages en lui : un bouddhiste et un réactionnaire endurci".C'est la thèse que certains biographes ont relayé (dont Barry Miles, auteur d'un Jack Kerouac king of the beats) en insistant notamment sur le fossé existant entre le héros de fiction et l'homme de chair et d'os. Miles présentait le "roi des beats" comme un raciste qui rêvait d'être noir, et comme un antisémite dont le meilleur ami, Allen Ginsberg, était juif. Et pour ce biographe, Kerouac aurait surtout souffert de ne jamais assumer son homosexualité et de noyer ce refoulement dans l'alcool...Ce qui ramène aux interrogations légitimes que suscite le film : Walter Salles a-t-il voulu dans cette courte séquence mettre en scène cette relation trouble de Kerouac avec sa sexualité, voire, son homophobie ? Ou doit-on, comme Riley semble le penser, n'y voir qu'une mise en image des relations entre Sal et Dean ?GGBarry Gifford : "Initialement, j’avais écrit le script de Sur la Route pour Coppola"Sur la route : notre review du film