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La publication du livre de Michel Malausséna (les Animatueurs) l’a incitée à témoigner, à son tour, des conditions de la naissance de l’émission et des conséquences sur les relations avec sa sœur. Voici sa lettre ouverte en intégralité.

La publication du livre de Michel Malausséna (les Animatueurs) l’a incitée à témoigner, à son tour, des conditions de la naissance de l’émission Bas les masques et des conséquences sur les relations avec sa sœur. Pour cela, elle a choisi d’écrire ce texte, avec ses mots, sans autres commentaires de notre part. "Il arrive dans la vie que l’on rencontre son bourreau. Le mien se cachait sous les traits de ma « petite » sœur, de cinq ans plus jeune, Mireille Dumas, que j’aimais, que je défendais. Elle a abusé de moi moralement, intellectuellement, elle a pris mon cœur, mon âme, et quand, sonnée, j’ai tenté de me redresser, elle m’a planté un poignard dans le dos. Tout commence lorsque, en juillet 92, Mireille m’appelle au secours : elle a décroché une émission pour France 2 qu’elle a intitulée « Bas les Masques » et dont elle sera l’intervieweuse-animatrice. Mais elle n’a pas de concept (or elle sait combien c’est primordial depuis l’échec de sa première tentative, « Cache-Cache »). Je tourne des documentaires avec mon mari depuis quinze ans et j’ai déjà aidé ma sœur sur des idées de reportage. Des Deux-Sèvres où je me trouve, depuis la cabine près de l’Eglise, je l’appelle tous les jours pour de nouvelles suggestions. Ce n’est pas assez. Elle veut « LA STRUCTURE » de son émission et ses journalistes sont « incapables de la lui donner ». Elle supplie, pleure, je rentre à Paris, assiste à des réunions de quinze personnes dont rien ne sort, décourageant… « Si tu restes, tu as carte blanche », lâche Mireille. Pas une seconde je me rends compte du terrible engrenage dans lequel je vais entrer… Un sujet me tient à cœur depuis longtemps, les personnes de petite taille. Pendant trois semaines, je m’immerge dans leurs problèmes, leurs douleurs, leur souffrance du regard des autres et peu à peu, dans mon esprit, le concept se dessine : leur parole seule, nue, directe, surtout pas de spécialistes ni de pseudo-autorité morale. Chaque témoignage devra apporter sa part de l’histoire, une sorte de puzzle délicat se formera progressivement, qu’enrichiront des reportages uniques, permettant au téléspectateur d’accepter une réalité difficile, de la comprendre avec son cœur et avec sa raison. A MD Productions, devant Jean-François Lacan, rédacteur en chef, Mireille et Michel Malausséna, j’expose clairement mon concept, livre le contenu détaillé de l’émission de « Quand je serai grand, je serai petit ». Ils m‘écoutent sans m’interrompre. Je me souviens de l’enthousiasme de Michel, de la réaction de Jean-François, « c’est très bien, on va prendre le concept d’Ariel ». Du silence de Mireille. Je débute les tournages : Mimie Mathy et sa condition magnifiquement assumée, les insurmontables problèmes de la petite taille au quotidien… Pendant que je termine mon sujet, les diffusions commencent. Dans l’ordre : « les homosexuels » (fort taux d’écoute), « la folie » (un flop) qui est la seule émission n’ayant pas été réalisée d’après mon concept, « la banlieue » (moyen). Arrive « Quand je serai grand, je serai petit » : l’audimat explose, du jamais vu sur une chaîne publique en deuxième partie de soirée, TF1 battue pour la première fois ! Pour Mireille, c’est la consécration. Le jour même, je suis virée. Le lendemain, elle est dans le bureau du directeur de France 2, qui lui signe toute sa série. Je suis virée, mais je refuse de partir. Je veux un contrat pour ce concept. Mireille prend peur, me réintègre, me salarie à plein temps. Mais pour le contrat du concept, on verra après, en ce moment elle est « tellement débordée » ! Commencent alors les brimades psychologiques (elle connaît par cœur toutes mes blessures d’enfance) et professionnelles, les humiliations en public. Après sept mois de ce régime (elle m’accusera même de vol), je craque, je m’en vais. Notre famille proche m’a lâchée, assourdie par les trompettes de sa renommée, je finis par tomber malade, j’ai perdu toute confiance, une honte terrible m’envahit… Seize années ont passé, avec la parole bâillonnée. Et puis un jour de février 2008, le livre de Michel Malausséna. En tant que co-auteur de Bas les Masques, je me devais de parler sans fard et publiquement, comme l’ont fait tant de témoins. C’est l’hommage que je leur rends, ma manière de les remercier d’avoir eu ce courage. Et toi aussi, Michel, qui m’a rendu la parole. " Ariel Piasecki