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Suite à "l’affaire César" lancée dans nos colonnes, nous publions un droit de réponse de Philippe Barassat, à l’origine d’une prise de position de l’ARP, la Société Civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs.

Le feuilleton continue. Après le droit de réponse des producteurs d’Indésirables en réaction aux propos d’Alain Rocca relayés sur notre site, nous publions ci-dessous celui du réalisateur, Philippe Barassat, à l’origine du « César Gate » -concernant le tarif, jugé élevé, payé par les ayants-droits pour figurer dans le coffret des César envoyé aux votants.

Voir l'interview d'Alain Rocca

Marc Legrand, chargé de communication de l’ARP, n’a pas manqué non plus de réagir au coup de sang de Philippe Barassat qui a libéré la parole des gens concernés par le problème. Voici ce qu’il a dit dans un courrier adressé à ses membres.

"Vous êtes nombreux à avoir réagi à la lettre ouverte de Philippe Barassat, sur le règlement de l’Académie des Césars vis-à-vis des films à petit budget. Ainsi que nous l’avons demandé à Philippe Barassat à propos de son film Indésirables, et dans l’attente de sa réponse, nous invitons celles et ceux dont un film se trouverait dans le même cas vis-à-vis de l’Académie des Césars, et qui souhaiteraient que leur film puisse être visionné par les membres de l’ARP, à nous faire connaître le lien Vimeo auquel le film pourrait être accessible, ainsi que les codes d’accès que nous communiquerions à celles et ceux qui en feraient la demande. Nous espérons que cette initiative permettra de contribuer aux efforts menés jusque-là auprès de l’Académie, en faveur d’un assouplissement de son règlement."

C’est une première victoire pour Philippe Barassat, dont le combat concerne justement la mise à disposition de liens Vimeo gratuits pour les membres votants des César, dont l’ARP représente une bonne part mais pas la totalité, loin s’en faut –il y a aussi les acteurs, les techniciens et les attachés de presse.

Pour finir, voici donc la réponse de Philippe Barassat à Alain Rocca.

Voir le droit des réponses des producteurs d'Indésirables

« Monsieur Rocca

 

J'ai lu avec attention votre interview dans Première.

Contrairement à ce que vous dites j'ai joint à de nombreuses reprises l'Académie qui m'a demandé d'écrire à Monsieur Alain Terzian, président de l'Académie, et seul décideur en ce qui concernait ma demande de dérogation sur le prix d'entrée de mon film dans le coffret des César. Ces échanges sont souvent univoques : j'envoie mail sur mail, et jamais de réponse -nos échanges ont surtout été téléphoniques. J’ai évidemment les copies des mails que je peux mettre à votre disposition si vous le souhaitez.

Mais au delà de ce détail, je souhaite répondre point par point à vos affirmations.

Il y a bel et bien un ticket d'entrée de 7000 euros pour figurer dans le coffret des César, ce n'est peut être pas le mot "ticket" qui est employé, mais c'est en tous cas la somme qui est très officiellement réclamée pour figurer dans le coffret des César. Cela n'est peut-être rien à vos yeux mais ça n'est pas une peccadille quand le budget même du film est l'équivalent de cette somme. Je précise par ailleurs que si mon film a réellement été fait avec moins de 10 000 euros, j'ai mis de ma poche personnelle 30 000 euros afin de payer acteurs et techniciens qui ne le demandaient pas, dans le seul but d'obtenir l'agrément et d'être conforme au règlement. Sans cette somme, et donc sans agrément, mon film n'aurait pu sortir en salle ni être éligible aux César. Cette somme a donc permis à notre producteur de monter le dossier d'agrément, qui a alors soumis au CNC un budget de 200 000 euros incluant en fait les apports en industrie et en participation que nous avions obtenu gracieusement. Mais s'il n'avait pas été question d'agrément, le film aurait en réalité couté moins de 10 000 euros. C'est le cas de nombreux autres films qui n'ayant, comme le mien, obtenu aucune aide, subvention ou pré achat et qui, faute d'avoir eu un héritage paternel comme moi, ont certes pu se faire mais ne sortiront pas au cinéma ou ne seront malheureusement pas éligibles aux César, ce qui est un problème dont doit absolument s'emparer le Centre National du Cinéma.

Je souhaite être précis sur les chiffres afin de pouvoir l'être également sur les vôtres, surtout lorsque je découvre dans votre interview que "L’encodage, la fabrication, la mise sous jaquette et le dépôt de ces galettes, sachant qu’on arrive à mutualiser le tout, représentent un coût d’environ 2,50€ par pièce. C’est un tarif lié à une prestation que n’importe quel ayant-droit peut supporter. " Sachant qu'il y a 4300 membres et environ 150 films cela représente donc 645 000 pièces, soit une somme d'environ 1 600 000 euros.

Lorsque j'ai proposé de fabriquer moi même les dvds pour les envoyer aux membres des César, j'ai fait appel à différents prestataires et j'ai trouvé sans problème pour une bien moindre  quantité mais pour la même qualité des couts de fabrication d'environ 30cts par dvd avec jaquette. Je pense qu'on doit pouvoir atteindre pour une quantité cent fois supérieur un cout de 20 cts, voire beaucoup moins. En dehors du coffret d'emballage qui contient les dvd, le cout de fabrication serait alors de 4300 membres x 150 films x 20 cts d'euros, c'est à dire environ 130 000 euros.

Voyez vous, cher Monsieur Rocca, les gens qui n'ont comme nous pour faire leurs films, que leurs seules économies et fonds personnels (ce qui est déjà une chance), sommes obligés de compter et de faire de bons comptes. Nous ne pouvons pas gaspiller. Et j'ajouterai, d'ailleurs, que le cinéma a non seulement quelque chose à tirer artistiquement de ces films sous-financés, mais il en a aussi sûrement quelque chose à en tirer économiquement. Un souci de l'économie, une crainte du gaspillage qui seraient, à l'heure de la Cop21, tout à son honneur.

Bien sûr il y a moins cher encore, certes moins prestigieux aussi, le lien vimeo. Et là je reste stupéfait par votre argument : Alain Terzian "refuse que l’Académie puisse être, de près ou de loin, associé à un déploiement illicite du fichier numérique d’un film". Avant d'ajouter à ligne suivante : "après, nous n’interdisons à personne de mettre un lien vimeo à disposition. Il y a, sur le site des César, une rubrique qui s’appelle L’Année Cinéma où les ayant-droits mettent ce qu’ils veulent." Alors il faudrait savoir: d'un côté vous ne voulez pas, mais de l'autre,  en fait,  vous voulez bien. C'est contradictoire et incompréhensible ! C'est d'autant plus incompréhensible que j'ai proposé à l'académie, lors de mon dernier appel, que ce lien soit protégé et que seuls les membres aient le code.  Refus total. On peut mettre le lien viméo mais sans code protecteur.

Enfin vous terminez en affirmant : "il suffit juste de m'appeler". Et bien, je vous répondrai de même: appelez moi et puis surtout faîtes un appel d'offres et vous verrez, non seulement vous pourrez ne plus être en dépassement, économiser plus d'un million d'euros, et promouvoir le cinéma français dans sa vraie diversité et liberté. 

Car au fond c'est surtout cela qu'il faut préserver, notre diversité! et elle passe et passera, comme toujours, à travers des contre pouvoirs, des films en dehors du système, des films de combat où il se dit autre chose que ce qui se dit habituellement, à travers d'autres discours que le discours consensuel ou télévisuel, paroles rares et si difficiles à faire exister, qu'il faut aider à faire entendre au lieu de les écraser. Ces paroles sont comme des graines, petites et fragiles, mais qui demain peut-être donneront de beaux fruits, étranges, nouveaux, avec un goût différent et qui sait, peut-être, délicieux....

 

Philippe Barassat »