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The Château de Jesse Peretz (2002)
Après des études de gestion, Thomas Bidegain s’improvise distributeur vidéo aux États-Unis, collaborateur de Marin Karmitz à Paris et développeur de pro- jets américains chez Why Not Productions, la société de Pascal Caucheteux – futur producteur d’Audiard. Jusqu’à cette comédie improbable avec Paul Rudd et Sylvie Testud...
"Un jour, pour mon boulot, je déjeunais avec Tom Richmond, un chef opérateur américain qui me raconte qu’il venait de tourner un long métrage en huit jours à L.A. Je me dis : « Waouh! » Je soumets alors un projet au réalisateur Jesse Peretz et à son producteur, qui l’achète. Deux mois plus tard, Jesse réalise The Château en neuf jours... Mon idée était plus qu’un simple pitch : c’était une liste de situations ; tout se passait dans un château où l’on faisait aussi dormir les comédiens. À ce moment, je comprends qu’un scénario doit s’envisager en fonction du film, de sa fabrication et de sa forme. L’idée de la “boîte”, où le projet est contenu dans sa totalité, naît dans mon esprit."

À boire de Marion Vernoux (2004)
À la fin des années 90, Bidegain sympathise avec Jacques Audiard et sa compagne d’alors, Marion Vernoux, qui sont ses voisins, à Paris. Un noyau se forme.
"Dans la foulée de The Château, j’écris L’Équarrisseur, que je vends à un producteur pour le réaliser – le projet sera enterré. Marion, qui avait lu mon script, me propose alors de me joindre à elle et à Frédéric Jardin pour finaliser À boire qu’ils ont quelques difficultés à terminer. Leur bienveillance me servira de boussole pour la suite. On ne peut pas intervenir sur un scénario en cours si on ressent de l’hostilité. Ici mon apport a principalement consisté à faire monter la comédie d’un cran. Car, contrairement, à ce qu’on pourrait penser, j’adore la comédie ! Je prends un grand plaisir à écrire pour les César (des monologues, des entrées) depuis quelques années... De l’échec douloureux d’À boire, on retiendra tous une chose importante : un film avec des stars peut se planter dans les grandes largeurs."

De battre mon coeur s'est arrêté de Jacques Audiard (2005)
En toute discrétion, Jacques Audiard s’est fait un prénom. Quatre ans après le remarqué Sur mes lèvres, il signe un thriller fiévreux qui marque officieusement le début d’une collaboration fructueuse avec Bidegain.
"À l’époque d’À boire, je travaillais encore chez Why Not et j’avais présenté Audiard à Pascal Caucheteux, qui voulait faire un remake. Jacques a alors l’idée d’adapter Mélodie pour un tueur, de James Toback. Je me charge d’acheter les droits et je suis le développement du projet. Puis, à un moment du process, Jacques me demande de regarder les rushes. J’accepte évidemment et lui présente des notes chaque jour. Des retakes sont ensuite prévues que Tonino Benacquista, le coscénariste, ne peut pas écrire pour des raisons d’emploi du temps. À la demande de Jacques, encore une fois, je me retrouve à imaginer trois nouvelles petites scènes pour le film. Notre collaboration a débuté ainsi et se poursuivra sur le même mode, dans une confiance absolue."

Un prophète de Jacques Audiard (2009)
C’est le film de la consécration pour Audiard et pour Bidegain qui gagne ses galons de scénariste.
"Pendant le montage de De battre..., Jacques reçoit la version d’un scénario d’Abdel Raouf Dafri et Nicolas Peufaillit, qui raconte le parcours d’un type en cellule, puis à l’extérieur. En le lisant, je me dis tout de suite que le héros doit entrer en prison à la première image et n’en sortir qu’à la dernière. La “boîte” du film est évidente. Avec Jacques, nous partons pour trois ans d’écriture... À ses côtés, j’apprends la précision : on doit savoir si on est loin ou près, si ça va vite ou pas. On écrit un film, pas une histoire. Plus il y a d’informations, mêmes inutiles, plus on est en position de changer des choses sur le plateau. De la même façon, il faut en permanence se tenir prêt à réécrire des scènes. Rien n’est plus angoissant qu’un réalisateur qui s’astreint à filmer un scénario. Au final, la grande idée d’Un prophète n’est pas de raconter la trajectoire d’un petit voyou qui va devenir un caïd, c’est de raconter celle d’un SDF sans famille qui, à la fin, se trouve un foyer. On est loin de Tony Montana..."

De rouille et d’os de Jacques Audiard (2012)
Audiard et Bidegain embrayent sur un projet à l’opposé d’Un prophète : une adaptation littéraire portée par une star, Marion Cotillard.
"Nous mettons la longue période d’accompagnement d’Un prophète à profit pour travailler sur l’adaptation d’un recueil de nouvelles de Craig Davidson, Un goût de rouille et d’os. J’écris un petit traitement qui raconte une histoire d’amour, absente du bouquin dont j’utilise le background et certains personnages tels qu’un estropié que je transforme en femme. Notre “boîte”, cette fois, c’est l’évocation de la crise inspirée par les grands films de foire, Freaks et Le Charlatan en tête. On savait que ça allait produire des images folles – les com- bats, la femme sans jambes, les orques – mais il fallait les rattacher au sol. On a alors cette idée, qui est l’objectif primaire et invisible du film, de faire du héros incarné par Matthias Schoenaerts un bon père. À l’intérieur du cinéma de genre –c’est pour ça que je crois à sa force et à son impact populaire –, le héros doit partir de très loin. Plus on lui met de bâtons dans les pattes, plus il sera crédible en tant que tel."

À perdre la raison de Joachim Lafosse (2012)
Thomas Bidegain arrive en cours d’écriture et amène avec lui Tahar Rahim et Niels Arestrup, le duo d’Un prophète.
"Je rencontre Joachim pour un autre projet, Les Chevaliers blancs – qu’il vient d’ailleurs seulement de tourner. Dans la conversation, il me glisse qu’il se trouve dans l’impasse avec son scénario du moment. En le lisant, je vois la Vierge ! Plutôt que de raconter une histoire qui fonctionne comme un compte à rebours jusqu’à la tragédie finale (un multiple infanticide perpétré par une mère sous la coupe d’un docteur toxique), je lui suggère d’en tirer un grand drame populaire. Je lui parle de L’Ombre d’un doute, de La Nuit du chasseur, de ces films avec des personnages sympathiques qui cachent en fait des monstres. J’incite les producteurs à voir plus grand, à embaucher des vedettes... Le fait que Tahar accepte de jouer le père nous pousse ensuite à envisager de reconduire son duo avec Niels. La production se séparera au passage du distributeur initial qui ne croyait pas en tous ces changements."

Saint Laurent de Bertrand Bonello (2014)
Thomas Bidegain est désormais reconnu. Il est appelé par les frères Éric et Nicolas Altmayer, de Mandarin Cinéma, pour collaborer avec Bonello qui avait toujours écrit seul.
"Avec Bertrand, on a le même âge, on s’est très vite entendus. Au bout de notre deuxième rencontre, on arrive à la conclusion que le biopic, tel qu’il est conçu habituellement (prendre un génie et en faire un homme ordinaire, tout rabaisser), nous déplaît. Il y a par ailleurs souvent des scènes embarrassantes où le type se met à créer une chanson, une toile... En réa- lité, personne ne sait comment marche la création, mais tout le monde sait ce que ça coûte. Animés par l’envie de mettre une idée par scène, on décide de faire un film sur ce sujet, qui commencerait comme un documentaire et finirait comme un opéra. On voulait que ce soit éblouissant comme un Visconti ou comme Citizen Kane. Pour moi, c’est important de travailler avec le réalisateur, de développer une grammaire commune. Je ne sais pas si les cinéastes qui n’aiment pas écrire sont les meilleurs."

La Famille Bélier d’Éric Lartigau (2014)
Avec Vincent n’a pas d’écailles ou Ni le ciel ni la terre, La Famille Bélier fait partie de ces projets sur lesquels Bidegain vient en appui en bout de chaîne.
"Je n’aime pas le terme de script doctor qui induit la notion de personne “miracle”. Quand on intervient tardivement, il ne faut surtout pas toucher à la “musique” du film ni casser sa dynamique. Mais pour que ça marche, il faut parfois consolider les fondations. Dans le scénario, il y a le jardinage et la déco, et il y a l’architecture dont je m’occupe dans ces cas précis. Sur La Famille Bélier, par exemple, le problème de construction tenait à peu de choses : c’est l’histoire d’une fille qui va partir, et ça commençait sur une voix off sous-entendant qu’elle allait le faire. Elle avait déjà effectué la moitié du chemin. À mon sens, elle devait d’abord avoir les mains dans le cambouis. C’est pour cette rai- son que le film s’ouvre sur une scène où, avec son père, elle aide une vache à mettre bas."

Dheepan de Jacques Audiard (2015)
Le duo Audiard-Bidegain intègre une jeune recrue, Noé Debré, dont Bidegain a fait son « padawan » sur La Résistance de l’air.
"Nous avons demandé à Noé de défricher le terrain pour Dheepan, inspiré à Jacques à la fois par l’observation de la banlieue à l’époque d’Un prophète et par des articles relatifs à l’omerta qui y régnait. Noé a notamment rencontré la communauté tamoule et nous a beaucoup renseignés sur la paranoïa qui l’agite. La “boîte”, cette fois, consistait à montrer notre monde à travers les yeux d’un arrivant discret et à finir avec la figure du vétéran, qui fascine Jacques et qui est très utilisée dans le cinéma US. On nous a reproché notre vision réductrice de la banlieue, mais on ne fait pas de la sociologie. La télé est là pour présenter les problèmes, le cinéma, pour raconter des personnages. Quant à la critique sur notre supposé discours anti-France, elle nous a blessés et surpris. La femme dit quand même au moins quatre fois qu’elle veut aller s’installer à Londres."

Les Cowboys de Thomas Bidegain (2015)
Sollicité de toute part, Bidegain travaille la nuit avec Noé Debré sur ce qui deviendra son premier long métrage.
"L’envie de réaliser est là depuis que je suis tout petit. Je suis très heureux quand j’écris, mais ce projet n’était ni pour Jacques ni pour Bertrand, c’était ma musique. Je voulais un film à l’ancienne, très classique, et j’avais surtout envie de travailler avec les comédiens. Il s’agis- sait de faire un western actuel où les cowboys seraient les gens d’une communauté country de l’est de la France et où les Indiens seraient les djihadistes. Vous me parlez de La Prisonnière du désert (un homme part à la recherche de sa fille disparue), de John Ford, mais j’avais plutôt en tête La Rivière rouge, de Howard Hawks, avec ce père un peu fou confronté à un fils plus raisonnable. Jacques m’a dit que le film me ressemblait parce qu’il est très premier degré, qu’il n’y a aucune ironie. J’assume. Il faut croire à cette histoire et à ces personnages comme moi je croyais à Dean Martin en shérif quand j’étais petit..."

À l'occasion de son passage derrière la caméra, le scénariste fétiche d'Audiard expose sa carrière à Première. 

En six ans, la plume préférée de Jacques Audiard est devenue incontournable. À l’heure où sort son premier film, le scénariste Thomas Bidegain, obsédé par la thématique de la filiation, évoque ses différentes familles de cinéma.

Par Christophe Narbonne

Les Cowboys, avec François Damiens, Finnegan Oldfield, Agathe Dronne, sort le 25 novembre dans les salles françaises. Bande-annonce :