Le Parrain 3
Paramount

Francis Ford Coppola a fait des retouches chirurgicales mais décisives à l’opus mal-aimé de la saga mafieuse. Attention, spoilers !

Il y a quelque chose de franchement émouvant à tenir aujourd’hui entre ses mains le blu-ray de ce "nouveau" Parrain 3, portant désormais le titre que Francis Ford Coppola aurait voulu lui donner en 1990 : La Mort de Michael Corleone. La Paramount avait alors jugé cet intitulé trop "spoilant", ou déprimant, et préféré le plus sobre et plus efficace Le Parrain, 3ème partie. Trente ans après, Coppola a donc fini par obtenir gain de cause, et le droit de procéder à un nouveau baptême (très précisément, en VO : Mario Puzo’s The Godfather Coda : the Death of Michael Corleone). Il s’est surtout lancé dans un nouveau montage d’un film dont il n’avait jamais été satisfait, qu’il avait tourné sous la contrainte, à une époque où il était financièrement aux abois, alors même qu’il avait régulièrement juré, au cours des années 70 et 80, qu’il en avait fini avec l’histoire des Corleone.

Les "remodelages" de ses films passés sont devenus ces dernières années l’une des obsessions du cinéaste, cet épilogue du Parrain faisant suite à Apocalypse Now Redux et Apocalypse Now Final Cut, mais aussi à The Outsiders : the Complete Novel et The Cotton Club Encore… Comme Claude Sautet retouchant sa filmographie au soir de sa vie, comme son copain George Lucas triturant obsessionnellement ses Star Wars, Coppola estime que les films ne sont pas des objets finis et peuvent continuer à muter longtemps après leur sortie.

Sofia et Francis Ford Coppola reviennent sur les mauvaises critiques du Parrain III

Au-delà des pures considérations artistiques, en remettant aujourd’hui son ouvrage sur le métier, le cinéaste cherche aussi, bien sûr, à modifier le souvenir que Le Parrain 3 laissera dans l’histoire du cinéma. Malgré ses bons résultats au box-office et ses nominations aux Oscars, le film avait tout de suite été considéré comme le vilain petit canard de la saga, méchamment moqué par les critiques US pour la prestation amateure de Sofia Coppola, et entraînant le fan-club dans des débats sans fin : le résultat aurait-il été meilleur si Robert Duvall avait accepté de reprendre le rôle de Tom Hagen ? L’intrigue imaginée par Mario Puzo et Coppola aurait-elle été plus satisfaisante si les deux hommes avaient disposé de plus de temps ? Et pourquoi Michel Corleone arbore-t-il cette invraisemblable coupe en brosse ? En France, les termes du débat furent un peu différents. Le film eut immédiatement le soutien des Cahiers du Cinéma et de Serge Daney (qui y voyait carrément le meilleur de la trilogie), entraînant dans leur sillage les "coppoliens" les plus romantiques, ceux qui adorent quand le génie barbu chancelle, et livre des films malades et imparfaits plutôt que des monuments conquérants.

Coppola, qui aime manifestement moins Le Parrain 3 que ses fans français, a décidé pour commencer d’en changer la scène d’introduction. Le film ne s’ouvre plus sur les images poignantes des ruines de la résidence du Lake Tahoe et la lettre lue en off par Michael Corleone à ses enfants, mais par la conversation entre Michael et l’archevêque Gilday, le banquier du Vatican, qui intervenait normalement plus tard dans le film. Soit une scène de négociation entre deux hommes autour d’une table, qui accentue l’effet miroir avec le premier Parrain (tout le séquençage du Parrain 3 avait été calqué sur celui du premier volet), mais refuse clairement de jouer la carte de l’émotion. C’est plus sec, plus froid. Coppola affirme ainsi d’entrée de jeu qu’il ne veut pas nous avoir aux sentiments. Déjà, en 1974, avec Le Parrain 2, il entendait rectifier le tir, corriger les effets pervers du triomphe du Parrain, qui avait fini par devenir une sorte d’immense publicité pour la Mafia. Il s’agissait de montrer Michael Corleone comme le monstre qu’il était, sans aucune ambiguïté. Mais en 1990, Le Parrain 3, lui, se vautrait sans vergogne dans le romantisme et le sentimentalisme, jouant à fond sur la nostalgie du public. Les plus belles scènes étaient celles où les personnages erraient dans les vestiges des précédents films, se disaient leur amour, évoquaient le passé et leurs tourments intimes. Dans ces moments-là, Le Parrain 3 était (est toujours) d’une puissance émotionnelle dévastatrice. Comment infléchir ça, trente ans après, par la seule grâce d’un nouveau montage ?

La Paramount n’exclut pas l’idée d’un Parrain 4

Attention, spoilers ! Ne lisez pas la suite de ce texte si vous ne voulez pas savoir comment se termine La Mort de Michael Corleone.
Coppola n’apportera en réalité la réponse qu’à la toute dernière minute. La plupart des changements survenant dans l’intervalle sont mineurs – la scène où Connie ordonne le meurtre de Joey Zasa a disparu, les adieux de Michael à Don Tommasino ont été raccourcis… A l’arrivée, cette version dure cinq minutes de moins que la précédente. Son véritable sens ne se révèle qu’en un plan, le dernier, désormais manquant. Vous vous souvenez bien sûr de la fin du Parrain 3 : hanté par ses crimes et la mort de sa fille Mary, Michael Corleone agonise dans la solitude ensoleillée d’un jardin sicilien. Mais dans cette nouvelle version, la dernière image, qui le voit mourir et s’effondrer à terre, a disparu. A la place, un carton noir, et ce texte : "Quand les Siciliens vous souhaitent « Cent’anni »… ils vous souhaitent une longue vie… Et un Sicilien n’oublie jamais." Manière de dire que dans La Mort de Michael Corleone, Michael Corleone, justement, ne meurt pas. Il vivra peut-être centenaire, comme si Coppola le punissait en lui faisant porter son deuil et le poids de ses fautes le plus longtemps possible. Pour l’éternité, d’une certaine façon, puisque nous ne le verrons théoriquement plus jamais mourir à l’écran. En 1990, Coppola tuait Michael Corleone et mettait un terme à la saga. En 2020, il le ressuscite et le propulse dans les limbes du temps, le condamnant à souffrir à l’infini. C’est l’extraordinaire correctif apporté par Coppola au destin de son personnage, un jugement définitif et irrévocable, le refus de lui accorder l’absolution. Presque le mea culpa d’un cinéaste qui s’en voulait d’avoir été trop sentimental.

Avec cette fin qui tombe comme un couperet et qu’on jurerait inspirée par celle des Soprano (cut brutal, effet de stupeur, héros soudainement englouti dans un trou noir), Coppola offre une conclusion moins belle et satisfaisante que celle du précédent montage. Il "rature" sa création, cherchant peut-être, à 80 ans passés, à s’affranchir d’une saga qui aura été à la fois sa gloire et son fardeau. A moins que le vieux cinéaste ne s’identifie encore et toujours à Michael Corleone et ne cherche, en faisant disparaître cette image de mort, à conjurer l’angoisse de sa propre fin ? Cent’anni, monsieur Coppola.

Le Parrain Epilogue : la mort de Michael Corleone, de Francis Ford Coppola, avec Al Pacino, Diane Keaton, Andy Garcia… En Blu-ray et VOD (Paramount)