Lucy
EuropaCorp/Warner Bros

Le film d'action sera rediffusé ce week-end à la télévision.

Mise à jour du 30 mars 2019 : TF1 rediffusera Lucy dimanche soir à partir de 21h. Le film de Luc Besson a cartonné durant l'été 2014. Vaut-il le coup d'oeil ? Voici la critique partagée par Première à sa sortie.

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Critique publiée le 7 août 2014 : Auteur du 2ème meilleur démarrage de l’histoire pour un film français aux Etats-Unis et projeté en ouverture du prestigieux Festival de Locarno, Lucy a su créer ces dernières semaines un parfum d’attente et de mystère auquel ne nous avait plus habitué le Luc Besson cinéaste depuis une bonne quinzaine d’années, date de son Jeanne d’Arc. Ce blockbuster estival, mettant en vedette Scarlett Johansson dans la peau d’une super-héroïne qui a soudain l’occasion d’utiliser 100% des capacités de son cerveau, s'annonçait ainsi comme le fruit d’un long travail de préparation de son scénariste/réalisateur, désireux de croiser ici le polar d’action urbain et le récit de science-fiction. Une note d’intention adressée aux techniciens du film a confirmé ces désirs d'hybridité en évoquant un début proche de Léon, un milieu inspiré par Inception et une fin rappelant 2001, l’Odyssée de l’espace, le chef d’œuvre métaphysique de Stanley Kubrick. Attention aux spoilers !

Un film bipolaire
Décidé à jouer simultanément sur plusieurs tableaux, Lucy subit d’entrée de jeu une sorte d’écartèlement bipolaire. Par des plans d’ouverture qui renvoient brièvement à l’aube de l’humanité, Luc Besson affirme sans ambages sa volonté de convoquer les ambitions mystiques de Terrence Malick dans Tree of Life (film d’ailleurs distribué par la société de Besson, EuropaCorp) et de 2001, l’Odyssée de l’espace. Mais après le recours à une voix off aux accents solennels, la caméra nous invite au cœur d’immeubles contemporains de Taipei où l’étudiante Lucy est présentée comme une innocente proie lâchée dans la gueule d’un gang de narcotrafiquants coréens. A coups d’inserts sur lions et gazelles tout droit sortis d’un documentaire animalier (genre auquel s’est déjà frotté Luc Besson avec Atlantis), le film prend un malin plaisir à jouer sur le montage parallèle et à se construire une identité schizophrène, héritée à la fois des thrillers d’action du Besson producteur type Taken et des souvenirs de la filmographie du Besson cinéaste des 1990’s, auxquels s'ajoute une entrée progressive dans un domaine qui se veut scientifique. Car si les incompréhensions entre la jeune Américaine et les brutaux mafieux créent des moments d’humour tranchant, les détours par une conférence de l’expert en neurosciences Norman (Morgan Freeman) abordent la question de l'évolution des espèces vivantes et préparent le spectateur à l’idée que Lucy traitera de l’exploration des potentialités du cerveau humain en des termes légèrement vulgarisés (Besson reconnaît lui-même qu'il est faux d'affirmer, comme dans le film, que les êtres humains n'utilisent en moyenne que 10% de leurs capacités cérébrales). Promettant un parcours initiatique aussi ludique que mouvementé, le seizième long métrage de Luc Besson adresse également un clin d’œil au Grand Bleu lorsque les dauphins sont décrits, images à l’appui, par le professeur Norman comme la seule espèce sur Terre à utiliser 20% de son cerveau.

Lucy : Luc Besson a tout piqué à Pulp Fiction, Avengers, Matrix, Fight Club...

Une héroïne froide comme le marbre
Après l’absorption accidentelle de la drogue qui lui avait été greffée à l’estomac, Lucy se met à muter et reçoit une quantité de super-pouvoirs cérébraux, qui mixent allègrement la télékinésie, l’accès à un savoir infini ou la faculté de remodeler le temps. Mais face à ce soudain élargissement des possibilités narratives, Luc Besson choisit malheureusement l'angle de la malédiction tragique et de l’enchaînement robotique des actions puisque la sensibilité affective du personnage se délite au fur et à mesure que ses capacités cognitives s’accroissent. On remarque d’ailleurs qu’un des premiers actes de Lucy consiste à tuer quelques innocents de sang froid (dont un sur la table d'opération d'un hôpital) au prétexte qu’elle jouit soudain d'une plus grande lucidité analytique. Difficile dès lors de s’attacher réellement à cette héroïne, bien que Scarlett Johansson excelle à nouveau, après Under the Skin, dans l’art de la froideur extra-humaine. La séquence du coup de téléphone à la mère, qui sonne comme un adieu définitif de Lucy à ses attaches sentimentales, intervient ainsi assez tôt et précipite l'instant où la protagoniste se retrouve davantage du côté de la mort que de la vie (le Requiem de Mozart retentira durant une fusillade). A l’image du moment où elle acquiert à grande vitesse des connaissances encyclopédiques à bord d’un avion (séquence qui fait écho à celle du Cinquième Elément où Leeloo explorait en un clin d’œil toutes les illustrations du mot Guerre sur un ordinateur), Lucy constitue avant tout une interface autonome chargée d'agir mécaniquement au service de la science, se révélant en cela moins touchante que les Nikita, Mathilda et autres héroïnes bessoniennes auquel le scénario fait souvent penser. Victime brisée par un traumatisme inaugural et femme privée d’une existence normale, Lucy affronte cependant l'adversité avec moins d'émotion que ses devancières; son face à face riche en symboles avec l’autre Lucy - l’australopithèque première femme de l’humanité - dégage de fait une intensité très limitée tant la froideur de cette héroïne au pouvoir absolu finit par contaminer l’ensemble de l’esthétique du film.

Luc Besson évoque ses grandes héroïnes : Lucy, Leeloo, Nikita, Mathilda...

Une imagerie sans inspiration
S’étant assigné l'objectif de faire cohabiter le divertissement d’action et la science-fiction aux allures cosmiques, Luc Besson refuse logiquement d’abandonner le volet narcothriller de son film au moment où Lucy se rapproche de l’instant de vérité mystique où elle découvrira toutes les possibilités offertes par le cerveau humain. Déjà vue à diverses reprises dans des productions Besson comme Taxi, la folle séquence de poursuite dans Paris où les voitures de police s’encastrent sous le regard d’un brave commissaire français vient donc fortement parasiter le caractère spirituel du dernier acte. Ceci étant dit, l’univers graphique convoqué pour illustrer la plongée de l'héroïne dans d’autres dimensions relève lui-même d’un grand recyclage. Empruntant à l’esthétique de films comme Matrix (avec qui les similitudes visuelles sont innombrables) ou Akira, Lucy échoue clairement à conférer au vertige de son personnage, qui voyage brièvement aux confins de l’espace-temps, une imagerie inédite et originale. L'éclatement des frontières narratives, physiques et sensorielles engendre ainsi des suites de plans numériques dénués de toute charge visionnaire, en forme de condensé express des séquences psychédéliques de Tree of Life (coucou les dinosaures) et de 2001, l’Odyssée de l’espace (on y revient). A la fin du film, une voix s’adresse - dans un vocabulaire proche de celui du monologue final de Matrix - au spectateur, expliquant que c’est désormais à lui de se prendre en charge et de décider que faire des nouvelles limites ici aperçues. Lucy a effectivement peiné à montrer durant 90 minutes quels gains, scientifiques, métaphysiques ou artistiques, ont été fournis par l'expérience de son héroïne.

Peuplé de personnages secondaires qui ne cessent de répéter qu’ils ne savent pas comment réagir, le seizième long métrage de Luc Besson débouche ainsi sur une impasse qui nous met loin de la poésie de 2001, l’Odyssée de l’espace. Faire don de soi en transmettant un savoir : voilà en définitive l’action essentielle accomplie par Lucy. On pourra alors se demander si la proximité des prénoms Luc et Lucy autorise à voir dans le personnage campé par Scarlett Johansson une sorte d’alter ego de Luc Besson, qui se rêverait en créateur surpuissant capable de communiquer le fruit de ses découvertes au public. Le souci étant que le cinéaste ne nous fait ici rien découvrir d'autre que sa maîtrise de la greffe, qui parvient à donner des airs de concept savant à un simple brassage de références multiples.

Damien Leblanc (@damien_leblanc)

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