Abyss
20th Century Fox

Le film de SF culte de 1989 revient dimanche soir sur 6ter.

En 2015, nous consacrions un dossier aux blockbusters hollywoodiens qui ont marqué leur époque. Nous profitons depuis des diffusions télé de ces classiques du cinéma américain pour repartager des articles au cas par cas. Aujourd'hui, zoom sur Abyss, de James Cameron.

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Alors que le Superman de Richard Donner conservait fièrement son titre de “film le plus cher jamais réalisé” depuis presque une décennie, deux films de l’année 88, Roger Rabbit et Rambo 3, pulvérisaient à quelques semaines d’intervalles ce record-là. Tous deux lançaient dans l’industrie hollywoodienne une fièvre inflationniste qui ne s’est jamais vraiment calmée depuis. Fort logiquement l’été qui suit, celui de 89 donc, sera celui de tous les records - à la fois en termes d’entrées mais surtout du point de vue du merchandising hystéro et de la promo agressive. La Batmania délirante qui déboule alors sur le monde entier en est le symbole le plus causant, réveillant chez certains critiques et spectateurs français des envies de lutte armée contre cette spectaculaire invasion culturelle yankee.

Entre le début juin et la fin août, un paquet de mastodontes vont s’affronter sur le champ de bataille du tiroir-caisse. Peu de victimes à déplorer. Batman est un énorme hit et ça n'étonne personne, tout comme les succès hautement prévisibles de Indy 3, L’Arme Fatale 2 et Ghostbusters 2. L’industrie semble avoir compris ce que demande alors le peuple : des sequels et des adaptations de comics. Le schéma tient toujours la route. Le seul film d’envergure à se casser la gueule lors de ce cru estival est aussi le seul projet “original” du lot, une rêverie subaquatique shootée par un jeune mec de 35 piges, The Abyss de James Cameron.

A une poignée de dollars près, Abyss n’est pas tout à fait le film le plus cher de tous les temps (ce qui sera par contre le cas de TOUTES les œuvres suivantes de son auteur), mais c’est en revanche le projet le plus coûteux de la saison. Problème : même des merdouilles super cheaps comme Le Sapin à les boules avec Chevy Chase ou Potin de femmes avec Dolly Parton finiront par rapporter beaucoup plus de pognon que le geste de cinéma herculéen de Cameron.

Pourquoi il ne faut pas manquer la version longue d’Abyss, dimanche soir

De l’avis de tous le tournage a été un véritable enfer, la post-prod fut encore pire. Comme si ça ne lui avait pas suffi de passer quatre mois, et douze heure par jours, la tronche immergée dans un gigantesque studio/bassin qui puait le chlore et les embrouilles, Cameron s’est aussi mis en tête de révolutionner l’art alors balbutiant des effets numériques. D’un point de vue logistique, Abyss est l’un des films les plus ambitieux jamais conçu. D’un point de vue de cinéma, aussi. Forcément tout ceci à un prix. Celui dont Cameron devra s’acquitter sera de couper quasiment 45 minutes de métrage, pour arriver à la durée contractuelle exigée par les suits de la Fox, soit 2H20. Son troisième acte morfle salement.

En l’état Abyss est un film superbe, à la fois hautement spectaculaire et d’une infinie douceur, mais aussi insatisfaisant (les scènes manquantes se voient à l’oeil nu et la présence d’aliens ne peut se justifier que d’un point de vue purement symbolique, échouant à se mouler dans le cadre du seul récit). Surtout, c’est un blockbuster complètement à la marge de son époque, qui exige de son spectateur une certaine implication intellectuelle et émotionnelle, et choisit l'émerveillement béat du monochrome à l'hystérie criarde de la planche comics. Un film d’une époque qui était déjà révolue mais tourné avec des outils de pointe. Le seul moment de la carrière de Cameron où il n’a pas su prendre avec une justesse affolante le pouls de son audience.

La version longue rééquilibrera un peu plus tard les quelques arythmies du film, comblera les trous béants du script, sculptera avec beaucoup plus de précision l’allure des personnages secondaires (et notamment celui de Michael Biehn, hourrah!), mais la fin, ultra explicite et délestée de sa poésie minimaliste, posera problème - même si elle permettra de découvrir les extraordinaires plans de tsunamis stoppés nets avant leurs déferlement. Par n’importe quel bout, et quel montage, qu’on le prenne, Abyss reste une sorte d’éternel work-in-progress qui n’aura jamais trouvé tout à fait son rythme de croisière (ouarf, ouarf) tout en enquillant les fulgurances et les moment de grâce absolus. Un film dont on ne sait plus trop si on l’aime malgré ou à cause de ses défauts, une oeuvre aussi fragile que monumentale, une partition qu’on rejoue dans notre tête avec une mesure systématiquement différente. Pas un film, mieux que ça, un souvenir. Certainement pas un blockbuster en tout cas.

Un jour, le journaliste François Cognard a écrit: “Pour moi, tout Cameron tient dans Abyss. Cet homme s’en ira construire les plus grosse forges de l’univers pour finalement en sortir un papillon de verre. C’était quelques années avant la sortie de Titanic. On n'a jamais lu depuis quelque chose d’aussi juste sur le film et d’aussi prophétique sur son réalisateur. La carrière du plus grand auteur de blockbusters contemporains commençait bel et bien ici.

François Grelet

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