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Ce qu’il faut voir ou pas en salles cette semaine.

L’ÉVÉNEMENT

QUELQUES MINUTES APRÈS MINUIT ★★★★☆
De Juan Antonio Bayona

L’essentiel
À l’instar de son mentor Guillermo del Toro, Juan Antonio Bayona fait des films où, derrière le fantastique, affleure des questions essentielles.

En évoquant King Kong, et plus généralement des dragons, des géants et des sorciers, Quelques minutes après minuit reproduit un thème présent dans toutes les cultures, mais particulièrement ardent dans le cinéma espagnol, qui accorde une grande importance au fantastique pour surmonter les difficultés de la réalité. Dans Mon voisin Totoro, ce sont deux petites filles qu’une sorte de chat géant aide à compenser l’absence de leur mère hospitalisée. Dans le film de Bayona, c’est un garçon, « trop vieux pour être encore un enfant, trop jeune pour être déjà adulte », qui souffre de cauchemars récurrents à l’idée de faire le deuil de sa mère, malade d'un cancer. Jusqu’au moment où prend vie un arbre géant qui annonce à Conor qu’il viendra par trois fois lui raconter trois contes. En retour, le garçon devra lui-même raconter au géant une histoire, et il devra dire la vérité.
Gérard Delorme

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PREMIÈRE A PLUTÔT AIMÉ

NERUDA ★★★☆☆
De Pablo Larrain

Le genre du biopic a beau avoir engendré quelques chefs-d’œuvre (Raging Bull, Van Gogh, Lawrence d’Arabie…), il est devenu depuis quelques années synonyme d’académisme et de croûte à Oscar. Au point que chaque cinéaste ou scénariste un tant soit peu ambitieux emploie désormais le terme « anti-biopic » quand il s’agit de raconter la vie d’une célébrité en évitant la case « Musée Grévin ». C’était ainsi qu’Aaron Sorkin définissait son Steve Jobs l’an dernier, c’est aussi ce que dit aujourd’hui le Chilien retors Pablo Larrain de son Neruda. Mais c’est sans doute particulièrement justifié dans ce cas précis, le film s’ingéniant à brouiller totalement les frontières entre réalité et fiction et à délirer l’Histoire dans les grandes largeurs. Cette évocation de la vie du poète chilien se concentre sur quelques années de l’après-Seconde Guerre mondiale, au moment où le président Videla lança la police aux trousses du grand homme, devenu un opposant politique gênant. Larrain n’étant pas le genre de cinéaste à opter pour les solutions de facilité (l’un de ses films les plus frappants, El Club, raconte la colocation d’une poignée de prêtres pédophiles), il choisit ici de raconter Pablo Neruda à travers les yeux de sa Némésis, un flic fascisant joué par Gael Garcia Bernal, dont la voix off obsessionnelle, amère et haineuse, rythme le film. Neruda, tout génie qu’il fut (Larrain, en interview, dit l’adorer et en parle comme de « l’âme de son pays ») est donc ici croqué en hédoniste un peu bouffon, jouisseur libidineux ivre de sa propre parole, emblème flasque de la gauche caviar. Le style du film, très dynamique, entend tresser ensemble l’opéra, la farce cynique et le film noir années 40. On songe un instant au Sorrentino d’Il Divo (le côté bouffon des premières scènes, où la comédie du pouvoir se joue du côté des urinoirs), avant que le récit ne bifurque à mi-parcours vers le western existentiel façon Monte Hellman (The Shooting). Neruda monte sur un cheval, la neige commence à tomber, et l’on comprend soudain que l’on est en train d’assister à un drôle de songe borgésien, où le flic enragé ne serait peut-être que le produit de l’imagination du poète. Les hypothèses historiques avancées par Larrain sont très séduisantes (et si la traque de Neruda – qui a pourtant réellement eu lieu – était finalement moins « vraie » que son œuvre littéraire ?), mais donnent parfois au film un côté velléitaire, étouffant d’intellectualisme. Sur un sujet à la fois aux antipodes (le deuil de Jackie Kennedy après l’assassinat de JFK à Dallas) et très proche (comment construire sa propre légende, ou la naissance du storytelling moderne), le Jackie que Pablo Larrain a tourné dans la foulée avec Natalie Portman (et qui sort le 1er février) est tout aussi austère et radical, mais plus puissant. C’est en tout cas le complément de programme idéal à Neruda.
Frédéric Foubert
 

LA VALLÉE DES LOUPS ★★★☆☆
De Jean-Michel Bertrand

Récit des trois années passées par le reporter Jean-Michel Bertrand à traquer une meute de loups dans une vallée perdue de Savoie, pour le simple plaisir de la rencontre avec ces animaux. Les grandes et belles images de ce paysage immaculé et la bonhomie de ce sympathique héros (qui n'arrête pas de rater ses vidéos en vision nocturne) font que La Vallée des loups s'adresse avant tout à un public familial. Ce n'est pas la vision d'une obsession dévorante et de la solitude d'un homme face à la nature indifférente : il s'agit en fin de compte d'un documentaire apaisé, foncièrement sympathique, qui évoque la nostalgie d'un paradis perdu.
Sylvestre Picard
 

LE PARC ★★★☆☆
De Damien Manivel

Un couple de jeunes folâtre dans un grand parc. Après l’avoir laissée, le garçon envoie un SMS laconique à son aimée dans lequel il lui dit qu’il s’est remis avec une autre. Désespérée, la fille s’endort … Présenté à l’ACID à Cannes, le deuxième long métrage de Damien Manivel est une proposition atypique, un conte de fées naturaliste tourné avec peu de moyens dans lequel un parc périurbain s’assimile à une forêt enchantée. Quand la fille se réveille, il fait nuit, un gardien en vélo rôde. Est-il gentil ? Ne serait-ce pas un ogre qui dévore les âmes égarées ? Film sur la puissance de l’imaginaire et sur le pouvoir des images, Le Parc intrigue mais son dispositif minimaliste finit par ronronner et par jouer contre l’ambition folle qu’il recelait.
Christophe Narbonne
 

BEYOND FLAMENCO ★★★☆☆
De Carlos Saura

Cela fait une dizaine d’année que Carlos Saura consacre l’essentiel de son œuvre à la musique et à la danse. Après Fados et Flamenco Flamenco, le cinéaste espagnol propose un voyage à travers l’Espagne en filmant la Jota (danse d’origine aragonaise qui a essaimé dans tout le pays) sous ses très très nombreuses formes. Sans aucun commentaire ou témoignage, Saura met donc en scène cet art à l’aide de tableaux chantés et le plus souvent dansés pour tenter d’en faire apprécier les infinies variations. Soigné et léché, le dispositif, qui rassemble des dizaines d’artistes, figé, répétitif, est à la fois fascinant et terriblement exigeant, et risque de n’embarquer dans ce voyage musical que quelques happy few.
Vanina Arrighi de Casanova

 

PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ

NOCTURNAL ANIMALS ★★☆☆☆
De Tom Ford

Le premier essai ciné de Tom Ford, l’inabouti A Single Man, ressemblait pour le styliste superstar à une récréation. Un petit caprice, histoire de se divertir les jambes entre deux collections. Mais Nocturnal Animals est clairement un film d’une autre ampleur. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste – ou, plus précisément, parce que c’est le genre de film susceptible d’être autant adoré que détesté – il confirme qu’on est en présence d’un réalisateur. Un vrai.
Frédéric Foubert

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PRIMAIRE ★★☆☆☆
De Hélène Angel

Flo, prof de CM2 déjà expérimentée, prépare ses élèves à la rentrée au collège. Mais le découragement la gagne. L'arrivée d'un gamin abandonné par sa mère dans sa classe (et l'irruption du père putatif du gamin) va bouleverser sa vie. Rien à dire sur la performance dingue de Sara Forestier en maîtresse d'école à la croisée des chemins : frappante de naturel et de métier, elle est tout simplement parfaite. Primaire cherche avec pas mal d'ambition à concilier sens du détail documentaire sur l'école primaire publique grenobloise (extrait du dialogue : "ça fait des mois que je demande un bilan ortho aux parents...") et drame profond aux résonances mythologiques (le spectacle de fin d'année sur les dieux grecs, le cours sur l'héroïsme). Bref, à accomplir la fusion rêvée par tous les héritiers de Pialat entre réalisme et poésie. L'alliance des deux, pas forcément antinomique, ne marche tout simplement pas ici pour cause de dispersion (et une intrigue sur une petite fille qui a du mal à lire ; et une intrigue sur une élève autiste...), voire de facilités concernant la storyline principale consacrée à l'héroïne. C'est par exemple le jeune fils de Flo qui fait la leçon à sa mère en l'accusant de privilégier son travail en des termes qui sentent trop l'écriture adulte ("tu sais pas vivre !") pour être vrais.
Sylvestre Picard
 

MOUNTAIN ★★☆☆☆
De Yaelle Kayam

Tzvia est triste : non seulement elle vit avec sa famille orthodoxe dans un cimetière mais son mari la néglige. Une nuit, après une énième frustration, elle sort dans le cimetière et découvre une faune interlope qui la fascine. Sur un sujet approchant (le désespoir existentiel d’une jeune juive hassidique qu’une rencontre impromptue va révéler à elle-même), le canadien Maxime Giroux avait signé, avec Félix et Meira, une belle histoire d’émancipation impossible. Yaelle Kayam tente la même chose mais appuie trop son propos. Au bout de l’énième plan sur Tzvia humiliée par son mari, on commence par se lasser, le comble de la démonstration étant atteint quand la jeune femme contemple avec envie une capote usagée… Dommage pour Shani Klein, qui insuffle à son personnage d’épouse martyre une émotion palpable.
Christophe Narbonne

 

PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ

FAUT PAS LUI DIRE ★☆☆☆☆
De Solange Cicurel

Chick flick dans ce que le terme a de plus péjoratif, cette comédie qui brode autour des histoires sentimentales de quatre cousines très différentes mais inséparables aligne les clichés (sur les femmes, l’amour, le couple, les gays) jusqu’à la limite du supportable sans jamais être vraiment drôle ni touchante. Un genre de Sous les jupes des filles en moins vulgaire, sauvé de justesse par son casting parfois attachant.
Vanina Arrighi de Casanova
 

3 000 NUITS ★☆☆☆☆
De Mai Masri

Années 80. À la veille du massacre de Sabra et Chatila, Layale, une jeune institutrice palestienne est détenue à tort dans une prison israélienne pour un attentat qu’elle n’a pas commis. Découvrant qu’elle est enceinte, elle décide malgré tout de garder l’enfant. Envers et contre tout… Pour son premier film de fiction, Mai Masri s’attaque à un sujet qui avait le potentiel d’un grand drame. Mais sa caméra le transforme en un pur cliché de cinéma, plombé par des actrices la plupart du temps en roue libre et une mise en scène sans inventivité. Le commentaire politique sous-jacent reste le principal atout de ce 3 000 Nuits, qui reste désespérément en surface.
François Léger

 

CHANDA, UNE MÈRE INDIENNE ☆☆☆☆☆
D’Ashwiny Iyer Tiwari

Mais pourquoi ce film sort-il en France ? À l’évidence, il est destiné à éveiller les consciences en Inde sur le sort injuste réservé aux femmes, davantage privées d’études et d’éventuel ascenseur social que les hommes. Soit l’histoire de Chanda, modeste domestique qui se réinscrit à l’école dans la classe de sa fille pour pousser cette dernière, défaitiste, à cravacher et ne pas devenir comme elle. « À quoi ça sert que je réussisse ? », demande Appu à sa mère pour appuyer le propos lourdingue du film, pénible accumulation de clichés sur l’aliénation, le patriarcat, les mathématiques (« les filles et les maths », soupire un protagoniste…) et la lutte des castes.
Christophe Narbonne

 

Et aussi

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