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Doug Liman fait d'un huis clos en plein désert irakien un thriller statique qui n'oublie pas d'être spectaculaire

A défaut de trouver un hypothétique fil directeur dans la filmographie très hétérogène de Doug Liman, on peut noter son attrait pour les concepts narratifs stimulants. C'est ce qui l'a amené à aborder une variété de genres et à travailler avec des scénaristes inventifs (John August dans Go, Tony Gilroy dans La Mémoire dans la peau, David Goyer dans Jumper, Christopher McQuarrie dans Edge of tomorrow). Le voila aujourd'hui de retour avec l'inattendu The Wall, adaptant un scénario issu de la fameuse black list des scripts les plus convoités. Il s'agit d'un récit de guerre réduit à une quasi abstraction, puisqu'il oppose au milieu du désert deux tireurs d'élite. Le mur fragile qui donne son titre au film sert à la fois d'abri, de frontière et de symbole de ce qui sépare les deux combattants. Mais c'est surtout le pivot du film, puisque, s'il venait à tomber, plus rien n'empêcherait les ennemis de s'entretuer, mettant fin à la situation.

Théorie et pratique

Il n'est pas innocent que les adversaires soient des snipers, dont la fonction consiste à observer, trouver la meilleure position, viser et tirer. Au cinéma, on ne fait pas autre chose (en anglais, on utilise le même mot – shoot – pour dire tirer et tourner). C'est peut-être cette analogie facile qui a inspiré nombre de cinéastes à s'intéresser à la figure du sniper. Pour Sam Mendes, c'était l'occasion d'entrer, avec Jarhead, dans la tête confuse d'un soldat au cours de la première guerre du Golfe. Plus récemment, Clint Eastwood s'en servait dans American Sniper pour dresser le portrait d'un idiot utile, ajoutant une pièce à son étude de la relation ambigüe de l'Amérique avec la violence. Mais personne n'a étudié la question avec plus de méthode et d'exhaustivité que Jean-Jacques Annaud dans Stalingrad, où l'affrontement de deux tireurs d'élite dépassait rapidement le cadre idéologique de leurs camps respectifs pour prendre une dimension théorique et multiplier les passerelles (littérales, visuelles, symboliques) avec le cinéma. Annaud y analysait une à une des notions comme l'observation, la vue, le regard, la visée, la vision, l'optique. On apprenait qu'il ne suffit pas d'ouvrir l'oeil pour voir : un homme mort ne voit rien. Pour bien observer, il faut réfléchir, mais pas trop, puisque l'éclat métallique du viseur peut trahir la présence du tireur. En tant qu'outil, l'optique permet d'améliorer la vision, mais elle peut aussi avoir un effet négatif : le commissaire politique joué par Joseph Fiennes en était un exemple, avec ses lunettes aux verres cassés et embués, symboles d'une perception doublement altérée par la jalousie et l'idéologie. Ce n'est pas un hasard si nombre de ces éléments se retrouvent à des degrés divers dans The Wall.

Tension statique

Alors que des entreprises civiles entament la reconstruction de l'Irak après l'annonce prématurée de la fin des hostilités par George W. Bush, deux soldats américains, un sniper et son observateur, sont chargés de sécuriser un chantier de pipe line après une embuscade qui a fait plusieurs morts. Au bout d'un moment, un premier Américain descend de sa planque et se fait allumer. Son binome (Aaron Taylor-Johnson, méconnaisable sous une épaisse couche de camouflage et de poussière) trouve refuge derrière un mur pour échapper au djihadiste invisible qui les guettait. Là, en attendant de pouvoir s'anéantir pour de bon, le survivant et son prédateur s'affrontent verbalement en communiquant par radio. Ce qui suit est un brillant exercice de maintien de la tension dans un contexte statique. Après une exposition filmée par une caméra particulièrement mobile, l'action reste fixée dans un espace restreint, sans pour autant donner l'impression de surplace. Taylor-Johnson change sans arrêt d'emplacement, et la caméra avec lui, même si c'est sur une distance réduite. Les positions respectives des personnages et des points de repère finissent par dessiner un espace bien plus vaste que celui occupé par le point de vue principal, lequel s'étend aussi par des astuces optiques, le sniper scrutant les alentours avec sa lunette grossissante. Plus généralement, le dispositif sert aussi à questionner la place légitime du personnage, à la fois en tant qu'individu, et en tant que représentant de l'armée américaine. Ce sont les questions que lui pose son interlocuteur au hasard d'une conversation où, tout en citant Edgar Poe, celui qui enseignait la littérature à Bagdad avant la guerre raconte pourquoi il a pris les armes et rejoint l'insurrection. L'Irakien demande aussi au soldat pourquoi il a rempilé en Irak, devinant que cette question très personelle cache un trauma profond chez son adversaire. Et tant qu'on y est, pourquoi les Américains sont-ils toujours là alors que la guerre est censée être finie ?

Avec ces interrogations ancrées dans la réalité, on voit se dessiner un lien entre La Mémoire dans la peau, Fair Game, et The Wall. Tous trois ont beau être des films de commande, c'est parce que le cinéaste leur a trouvé du sens et qu'il y croit personnellement qu'il les a réalisés avec autant de conviction. 

Doug Liman : L'art de la guerre

The Wall sort en salles le 7 juin. Bande-annonce :