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X-Files, Buffy, Breaking Bad, Lost… Plus de 400 séries sont concernées par la théorie du "Tommy Westphall Universe". Toutes sont liées, la preuve.

Ce qui suit contient un énorme spoiler sur la fin de la série St. Elsewhere. Si vous ne voulez pas connaître la conclusion d'une série que vous n'avez sûrement jamais regardée et qui s'est terminée en 1988, évitez donc de continuer la lecture.

Nous sommes le 25 mai 1988 et 22,5 millions d’Américains sont devant NBC pour regarder le series finale de St. Elsewhere, intitulé The Last One. Ils ne le savent pas encore, mais le tout dernier épisode de la série médicale en six saisons va leur offrir un retournement de situation qui va les laisser sans voix. 

La dernière scène dévoile que le show scénarisé par Tom Fontana (Oz, Borgia) se déroulait en fait depuis le début dans la tête d’un enfant autiste, Tommy Westphal. Le gamin observait une boule à neige dans laquelle se trouve une miniature de l’hôpital de Boston, où avait lieu l’action de la série. Coupé du monde réel, Tommy s’était donc imaginé un ailleurs dans lequel évoluaient les médecins de St. Elsewhere


Un twist resté dans les annales du petit écran et auquel de nombreuses autres fictions ont depuis fait référence. L’histoire en serait restée là si des fans n’avaient pas commencé à se poser des questions : si St. Elsewhere n’est que le fruit de l’imagination du jeune autiste, qu’en est-il des autres séries dans lesquelles ses personnages ont évolué ?

St. Elsewhere a notamment croisé le chemin de Cheers (qui se déroule dans un bar de Boston) dans le finale de sa troisième saison et deux médecins du show ont sont apparus dans Homicide : Life on the Street. Il existe également des connexions directes avec des personnages de M*A*S*H* ou The Bob Newhart Show, qui ont elles-mêmes des liens avec d’autres séries, qui ont des liens avec d’autres séries, qui ont… Vous avez compris l’idée. Ainsi est née la théorie du "Tommy Westphall Universe" au début des années 2000, dont Keith Gow et Ash Crowe sont les gardiens du temple. 

De The Wire à Paris Section criminelle

Ces deux passionnés tiennent depuis plus de dix ans le site The Tommy Westphall , qui ne cesse de recenser les connexions entre St. Elsewhere et les autres fictions télévisées. Une toile aux ramifications tentaculaires. À ce jour (la dernière liste date d’août 2015), 419 séries sont concernées, et pas des moindres. On y retrouve des oeuvres cultes et populaires comme X-Files, Friends, Lost, Buffy contre les vampires, Breaking Bad, The Wire, Seinfeld, The Walking Dead, Oz, Doctor Who… La France est elle aussi concernée avec Jo et Paris Section criminelle

"Quelqu’un a fait le calcul une fois, et en gros 90 % des séries se déroulent dans la tête de Tommy Westphall", assurait Tom Fontana en 2002.

Parfois le lien prend la forme d’un personnage qui a navigué d’une série à une autre, étendant malgré lui l’univers un peu à la façon d’un virus ; parfois il s’agit d’un entreprise ou d’un produit fictionnels. La Weigert Corporation imaginée par Tom Fontana existe ainsi à la fois dans St. Elsewhere et dans Oz, plaçant de facto cette dernière dans le même monde. Et tout show faisant référence à la société se déroule donc forcément dans un univers commun, en l’occurrence l’esprit de Tommy Westphall. "C’est cette petite connexion qui en a engendré une centaine d’autres - des références à des compagnies aériennes, des entreprises, des clins d’oeil d’une série à une autre", confiait Crowe au Huffington Post américain. 

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Et un show en particulier donne le vertige à cause de ce qu’il engendre - attention, ça se complique. Newhart (inédite en France), est un spin-off de The Bob Newhart Show. L’histoire raconte la vie de Dick, gérant d’un motel dans une ville paumée, et l’acteur principal est Bob Newhart. La sitcom se termine avec la révélation que toute l’intrigue se passait dans l’esprit de Bob Hartley, ce dernier étant en fait le personnage que Bob Newhart jouait dans The Bob Newhart Show, quelques années plus tôt. Ce qui veut dire que Dick n’existe que dans le rêve de Bob Hartley, qui n’existe que dans le rêve de Tommy Westphall. Inception.

Les règles

Pour éviter de devenir fous, Gow et Crowe ont fixé des règles assez strictes pour établir ce qui peut entrer ou pas dans le Tommy Westphall Universe. Il doit par exemple forcément s’agir d’une série live dont la continuité est persistante d’épisodes en épisodes, ce qui exclut ainsi les dessins animés et les sketches des late shows américains. Et avec un peu de recul, le duo avoue qu’il aurait certainement dû mettre de côté les produits de fiction pour établir un lien avec St. Elsewhere. Les showrunners ayant pris la fâcheuse habitude d’en incorporer beaucoup, pour le seul plaisir d’une petite œillade à leurs confrères. 

"Ça devient extrêmement complexe" à suivre, assure Crowe, qui est tout de même bien aidé par une armée de fans qui alimentent régulièrement son travail. "Et j’ai entendu parler de scénaristes qui mettent délibérément des références pour que leur série se retrouve dans l’esprit de Tommy", croit savoir Gow.

Mais la théorie du Tommy Westphall Universe est-elle imparable ? Pas selon Brian Weatherson, professeur de philosophie à l’université Cornell, qui a étudié la chose le plus sérieusement du monde. Dans une publication datée de 2004, il explique ainsi en six points pourquoi la théorie ne peut pas être prise au pied de la lettre. Weatherson objecte que ce n’est pas parce qu’une personne ou une ville apparaît dans un rêve qu’elle n’a pas d’existence réelle. Il prend également l’exemple de Michael Bloomberg, qui était à l’époque maire de New York dans la vraie vie, mais également dans New York, unité spéciale. Ce qui, si l’on va au bout de la logique du Tommy Westphall Universe, voudrait dire que le vrai monde se déroule dans la tête du jeune autiste. Absurde, évidemment.

Six degrés de séparation

Cela n’arrête pas les théoriciens les plus forcenés de continuer à explorer les possibilités du Tommy Westphall Universe et l’un d’entre eux pense notamment qu’il existe six degrés de séparation entre St. Elsewhere et n’importe quelle autre série. Autrement dit : elles seraient toutes liées, et ce n’est qu’une question de temps avant qu’on découvre toutes les connexions.

"Les cinq dernières minutes de St. Elsewhere sont la seule série télévisée, depuis toujours. Tout le reste est un rêve", conclut-il. 

Tellement tentant qu’on ne cherchera même pas à trouver la faille dans cette théorie.

St. Elsewhere a été diffusée en France sur Téva entre 2000 et 2001.

François Léger (@FrancoisLeger)