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Andrea Arnold affirme un peu plus son regard lyrique et sensoriel en suivant le parcours d'une jeune femme au milieu d'une communauté de paumés. Hypnotique 

On vend des abonnements à des magazines, on se marre, on explore, euh… l’Amérique.” Voilà pour le programme d’American Honey, marmonné par Jake (Shia LaBeouf) à Star (Sasha Lane) après leur coup de foudre sur un parking de supermarché. Soit la promesse éternelle du road-movie, reconfiguré ici aux dimensions d’un mini-van peuplé d’une tribu de kids white-trash, puis malaxé pendant 2h40 dans un immense maelstrom, une sorte de conte clippesque sur les enfants perdus de l’Amérique de Donald Trump. Des gamins qui n’ont plus pour bouée que leur playlist iTunes et le prochain billet de 5 dollars qu’ils arriveront à grapiller. On est dans le monde de Larry Clarke et Harmony Korine, oui, mais qui serait soudain propulsé sur la route, confronté à la question du territoire, de la conquête, de l’immensité. Si Spring Breakers ambitionnait d’être le Bonnie and Clyde de la génération Z, American Honey est son Easy Rider. Un film-trip dont le seul et unique motif est de regarder la route défiler, d’empiler les blocs de temps, et de structurer le tout par une bande-originale monstrueuse et orgasmique, qui compile Rihanna et Springsteen, Juicy J et Mazzy Star, du rap très sale et des gentilles folk-songs, et finit par vous vriller la cervelle. Les clichés du genre sont là (la love story qui grandit au fil des kilomètres, la corruption du rêve américain), mais ils n’ont jamais sonné comme ça.

« Née » à Cannes avec Red Road et Fish Tank, Andrea Arnold confirme ici son statut de grande réalisatrice sensorielle, musicale, adepte d’un naturalisme aussi teigneux que voluptueux. C’est aussi une immense directrice d’acteurs. Shia LaBeouf est dément en néo-James Dean à mulet. Riley Keough (petite-fille du Roi Elvis) impressionne dans la peau d’un gourou en bikini (tableau incandescent du quart-monde US, American Honey peut aussi être vu comme le portrait d’une secte sans horizon ni espoir). Et Sasha Lane (découverte par Arnold dans un restau du Texas) est bien la révélation miraculeuse dont ce projet avait besoin. L’hypnose dure près de trois heures. On pourrait regarder ça toute la nuit.