La Chair de sa chairAvant de sonder l’âme humaine et ses tourments (depuis Spider, 2002), David Cronenberg s’est largement intéressé à la chair et aux modifications, fusions et hybridations qu’elle peut subir : corps insecte dans La Mouche, corps machine dans Videodrome ou ExistenZ, corps mutant dans Frissons. Une obsession charnelle que l’on retrouve aujourd’hui au coeur du premier film de son fils Brandon. Celui qui tout jeune (14 ans) a travaillé sur les effets spéciaux d’Existenz s’est entouré d’une équipe très cronenbergienne pour réaliser Antiviral. Directrice casting, directeur artistique, costumière et actrice (Sarah Gadon, présente au générique de Cosmopolis et A Dangerous Method), tous ont collaboré avec David avant de prêter main forte à Brandon. Mais au delà du casting, ce sont surtout les obsessions de Cronenberg senior qui sont réactivées dans Antiviral. Chair, mutations, virus, monde minéral et violent, chaque élément fait immanquablement penser aux films séminaux de David. Mais s’il se révèle un bon artisan, Cronenberg fils, coincé entre hommage et plagiat, développe une vision trop marquée par l’empreinte paternelle pour parvenir à s’en émanciper.  Bizarre, vous avez dit bizarre ?Le réalisateur iconoclaste David Lynch propose depuis trente ans un cinéma expérimental, plastique et mystérieux, qui fascine et désarçonne. Pour son premier essai, Jennifer Lynch montre le même désir d’étrangeté qui habite le travail de son père. Dans le tordu Boxing Helena (1993), elle imagine le destin funeste d’une femme, progressivement amputée par l’homme qui la désire. Après une fugace apparition dans Eraserhead (elle a trois ans), elle est assistante de production sur Blue Velvet (à 18 ans). Forte de ces expériences lynchiennes, elle caste Sherilyn Fenn, l’actrice de Twin Peaks, pour le rôle-titre de Boxing Helena et réalise un des films les plus étranges de la décennie. Surveillance(2008), un polar malsain et Hisss (2010), une histoire de femme serpent ne dérogent pas à la marque de fabrique Lynch - l’insolite. Mais la pertinence d’un univers cinématographique se trouve souvent dans sa singularité et les films de Jennifer convoquent trop l’iconographie paternelle pour être autre chose que de simples dérivés, plaisants mais trop révérencieux.  Je règle mon pas sur le pas de mon pèreHomme de théâtre et documentariste, Nicolas Klotz réalise peu de fiction. Six films en plus de vingt ans (Paria, La Question Humaine entre autres), toujours scénarisés par sa femme Elisabeth Perceval, forment l’essentiel de sa filmographie. Visant un cinéma exigeant, austère et quelque peu intellectualiste, Nicolas Klotz aime les marginaux, les parias, les amoraux. Pour son premier long, L’Âge atomique, Helena braque sa caméra sur des héros qui pourraient errer chez son père et conserve en supplément la facture « underground » propre au travail paternel. En collaborant avec sa mère, scénariste, et la directrice photo de Low life (le dernier film de Klotz père), elle ne se démarque guère de ses origines. La virée dans les milieux interlopes parisiens vus par Helena rappelle le champ d’investigation de Nicolas. Passage de relai d’une génération à l’autre, le cinéma des Klotz se ressemble dangereusement, une continuité sans changement en somme.  Si loin, si prochePreuve que le passage de témoin ne date pas d’hier, le cas Becker. Coopté par Jean Renoir (encore un fils de…), Jacques Becker devient son assistant réalisateur, puis prend son envol en 1942. Dans ses films (Casque d’or, Le Trou), il brosse le portrait de personnages marginaux (une prostituée et des prisonniers) auxquels il injecte, par la finesse de sa mise en scène, une épaisseur psychologique rare dans les années 1940/1950. En 1954, Jean, à peine âgé de vingt ans, rejoint en tant qu’assistant réalisateur l’équipe de Touchez pas au grisbi mis en scène par son père, et travaillera à ses côtés jusqu’à sa mort en 1960. Il disparaît ensuite des radars pendant deux décennies et revient sur le devant de la scène avec L’Eté meurtrier en 1983. Un drame amoureux, comme Casque d’Or en son temps, qui impose Jean Becker comme cinéaste. Avec Elisa, quelques années plus tard, il travaille de nouveau le motif de la vengeance mâtinée d’une réflexion sur le destin et le tragique de l’existence. Sans toujours œuvrer dans la même direction, les deux hommes ont jeté leur dévolu sur des personnages féminins forts prises au piège de la société et souvent acculées à la folie. La vision romantique et mortifère de la femme qu’ils partagent a tout de même donné naissance à deux filmographies distinctes, voisines mais suffisamment personnelles pour faire oublier la filiation qui les lie.  Portrait de familleLe motif de la famille hante le cinéma de Coppola. Le Parrain (le clan), Peggy Sue s’est mariée (l’explosion de la cellule familiale) ou encore Tetro (la quête des origines) revisitent chacun à leur façon les liens qui unissent les membres d’une famille. En patriarche, Francis Ford a très tôt impliqué Sofia sur ses projets. Il lui donne un rôle dans sept de ses films entre 1972 et 1990 (sa plus célèbre apparition restant Le Parrain 3), voyant peut-être en elle une actrice en devenir. Mais tel père, telle fille, c’est la réalisation qui attire la jeune femme. Dans Virgin Suicide, histoire tragique d’une famille dysfonctionnelle que produit Francis, Sofia poursuit l’exploration de la thématique familiale chère à son père, mais elle délaisse la figure adulte et masculine pour ausculter l’âme adolescente. Lorgnant du côté de la jeunesse et des dégâts engendrés par des parents omnipotents, Sofia se démarque, trouve une voie personnelle, un angle singulier (les affres de l’adolescence), qu’elle ne cesse depuis de creuser avec succès (Marie-Antoinette, Somewhere). Une translation réussie.  Ursula Michel