Avec sa superproduction de 2h30, Michel Hazanavicius a opéré un retour remarqué à Cannes, trois ans après The Artist. Mêlant le mélo (un orphelin tchétchène est recueilli par la représentante française d’une ONG, tandis que sa sœur le cherche) et le portrait d’un soldat russe (qui apprend son « métier » avec tous les rites initiatiques virils que ça comporte),The Search  alterne le grandiose et le grandiloquent, tout en mettant en lumière un conflit –la deuxième guerre de Tchétchénie- étouffé par la propagande russe.The Search est le remake des Anges marqués de Fred Zinnemann, tourné après-guerre dans les ruines de l’Allemagne vaincue. Est-ce le point de départ de l’aventure ?Non, mais ça a fait partie du processus de la fabrication du film. Il y a longtemps que je porte en moi le désir de raconter une histoire liée aux deux guerres de Tchétchénie. J’ai vécu ce conflit de façon très intime en ressentant de la stupéfaction, de la compassion, de l’empathie et une espèce d’embarras par rapport à mon impossibilité d’agir. Ça me vient sans doute de mon histoire familiale, puisque mes parents, juifs ashkénazes, ont été cachés pendant la deuxième guerre mondiale. J’ai donc eu envie de raconter le malheur de cette population qui, de par la défaite de l’armée tchétchène, a été privée de parole. Elle ne peut pas revenir sur cet épisode tragique, elle a perdu deux fois en quelque sorte.À quel moment vos préoccupations personnelles ont-elles convergé vers le film de Zinnemann ?Nicolas Saada, un ami cinéaste, m’a conseillé de le regarder au moment où Warner le ressortait en DVD. J’ai été hyper touché par la façon dont Zinnemann arrive à parler des camps de concentration en 1947, alors qu’à cette époque, c’est encore un sujet tabou. Il le fait avec beaucoup de simplicité et de pudeur à travers les yeux d’un gamin, ce qui m’a donné l’entrée pour mon film. Vous l’avez vu ?Oui, c’est pas mal, mais il y a un côté film de propagande qui me gêne un peu.Je n’ai pas de souci avec ça, il faut remettre les choses dans leur contexte. Si on en fait abstraction, il y a un truc émotionnel qui marche très fortement. Tout à coup, en le voyant, je me suis dit qu’il y avait la possibilité de transposer cette histoire. Le désir a mûri, j’ai fait The Artist entre-temps dont le succès m’a donné l’opportunité de faire un film plus cher et plus compliqué en matière de réalisation.De combien est le budget ?Environ 21 millions d’Euros. Il fallait quand même emmener toute une équipe française en Géorgie où nous sommes restés six mois….L’histoire du tournage a-t-elle été aussi épique que le film ?C’est le film le plus dur que j’ai eu à faire. Ce qui était difficile, c’est que tout était très difficile ! La logistique, les acteurs non professionnels, les enfants, la météo incertaine, le tournage avec l’armée, les tanks, les hélicos… Les figurants, c’était un enfer : je passais des heures à les régler. Il y avait un mélange de Tchétchènes (minoritaires en nombre), de Géorgiens, de Russes… Pour les scènes de foule, je devais mettre les quelques figurants tchétchènes à l’avant-plan pour avoir les ambiances sonores justes, c’était vraiment hyper compliqué.Mélo, film de guerre, action, émotion… Avez-vous eu le sentiment de vous mesurer à Spielberg ?Surtout pas, j’étais mort sinon. Vous citez, là, un maître du cinéma quand même… Dans ce film, je ne parle que de moi et de mon rapport à la Tchétchénie. J’ai construit mon film mentalement en ayant en tête l’imagerie renvoyée par les télévisions à l’époque : des vidéo crades tournées en hiver, très peu de couleurs, beaucoup de contrastes, une certaine dureté.Le segment sur le soldat russe est pour moi le plus fort et le plus épique visuellement. Ne vous êtes-vous pas interdit de faire un pur film de guerre ?J’ai toujours veillé à rester proche de l’humain, que ce soit pour le Russe ou pour l’enfant et les observateurs étrangers. Dans la scène d’assaut, où l’on suit le soldat par exemple, j’ai fait un plan-séquence pour qu’on ressente viscéralement sa peur. J’aurais pu céder à la facilité en filmant les explosions, les tanks, etc. C’est hyper cinégénique la guerre, mais je devais respecter mon point de vue qui était de montrer le basculement de ce personnage dans la folie meurtrière.Le film qu’on a vu à Cannes sera-t-il le même en salles (sortie novembre) ?A priori, oui. Il s’est passé un truc un peu étrange hier : la projection de presse ne s’est pas très bien passée, contrairement à la projection publique. Cette journée a été violente pour moi, je me disais que les professionnels trouvaient que The Search était une bouse. Puis, j’ai appris qu’il avait été hué par des journalistes russes, ce qui m’a plutôt honoré. Il n’empêche que je réfléchis à la sortie du film. À l’heure où je vous parle, c’est encore un peu confus dans mon esprit.Christophe NarbonneBande-annonce de The Search, qui sortira en France le 26 novembre prochain. La conférence de presse :