Comment avez-vous vécu votre dernier Cannes en tant que Président ?En veillant à ce qu’il se passe bien dans tous les domaines et sans me dire : "c’est la dernière fois que tu présides". Il se trouve, cependant, que je souffrais d’une cruralgie (douleur névralgique, ndlr), ce qui ne facilitait pas une déambulation caracolante sur les marches rouges. On me disait : "comment ça va ?" Et je répondais : "tu vois, on boitille"…Qu'avez-vous pensé de la dernière sélection ?J’ai beaucoup aimé les films que j’ai vus.Votre discours "d'adieu" était très émouvant, malgré le calme et la dignité que vous arboriez. Comment l’avez-vous vécu intérieurement ?Je luttais pour éviter de me laisser submerger par l’émotion et m’accrochais très fort au bras de Nicole Garcia que j’aime tendrement.Que souhaitez-vous à votre successeur Pierre Lescure ?De prendre autant de plaisir à présider Cannes que j’en ai eu moi-même pendant 38 ans.Le cinéma a beaucoup changé ces dernières années, soumis au piratage, à la concurrence des séries télé, sans rien perdre de son impact populaire. Êtes-vous optimiste quant à son évolution dans les 20 prochaines années ?Qui peut dire ce qui va se passer alors qu’on est en pleine évolution ? Je suppose que le cinéma d’auteur pur et dur va décrocher faute de public et d’aides suffisantes au profit du divertissement de qualité. Disons qu’il y aura moins de Resnais et plus de Christian Jaque - qu’il faut réévaluer car plusieurs de ses films sont devenus des classiques, entre autres : Un revenant, Fanfan la Tulipe, Boule de suif, L’assassinat du père Noël, Les disparus de Saint Agil, François 1er, Babette s’en va-t-en guerre, La symphonie fantastique, etc.Quels sont pour vous les cinémas émergents ?Celui d’Israël ; des pays asiatiques comme les Philippines ; du Mexique, de la Roumanie, d’Afrique du Sud, si les pouvoirs publics consacrent un minimum d’argent au cinéma.Pensez-vous que la Chine va devenir un acteur majeur ?Oui. La Chine met déjà, comme on dit, le paquet, et va peser lourd d’ici à dix ans.Le cinéma français peut-il perdurer et résister à la concurrence étrangère grâce à son système unique de financement ou va-t-il falloir revoir les choses ?Le cinéma français va résister tant que son système perdurera et tant qu’un film sorti de nulle part réalisera un carton confortant l’envie des concurrents d’en faire un à leur tour. Il est offensif avec Unifrance, Cannes, de nouvelles formes de cinéphilie…. Il y a les créateurs, les acteurs, les techniciens, les producteurs, les salles et une grande diversité de ces talents bien répartis. J’ai confiance.Quels sont les 10 films qui vous ont marqué cette année ?Mommy, P’tit Quinquin, Maps to the stars, Le Vent se lève, Under the Skin, Timbuktu, Le Paradis, L’Homme à la Caméra, Les Voyages de Sullivan, Le Cercle rouge.Quels films attendez-vous particulièrement en 2015 ?Ceux des frères Coen, Bruno Dumont, Olivier Assayas, Steve McQueen, Paul Verhoeven, Jacques Rivette, Lee Daniels, le prochain Sergei Loznitsa, un inconnu qui me surprendra.Propos recueillis par Christophe Narbonne