GALERIE
Le Pacte

Rencontre avec le réalisateur de Sheitan alors que son quatrième long métrage a réalisé un superbe démarrage en salles ce mercredi.

Le Jeune Imam met en scène un ado à la dérive de 14 ans, envoyé par sa mère au Mali pour finir son éducation et qui, à son retour dix ans plus tard, devient l’Imam de sa cité, sans qu’on sache au départ si sa démarche est purement sincère ou machiavélique. Comment naît chez vous l’idée de ce film ?

Kim Chapiron : L’inspiration vient d’un jeune Imam qu’on a rencontré avec Ladj (Ly, son co- scénariste) et qui nous a interpellés. On a vu en lui une complexité, une dramaturgie, un côté tragique très puissant. Et on s'est dit qu’en termes de cinéma, il y avait plein de choses à raconter, à la manière d’un film de genre. A commencer par cette scène d’ouverture où on voit des assaillants semblant prendre en otage la mosquée de ce Jeune Imam avant de découvrir plus tard que ces assaillants sont les victimes d’une escroquerie autour d’un pèlerinage à la Mecque. En tant que fan d'Ozu, de Kore-Eda. j’aime raconter le drame des gens ordinaires. Avec les petits riens de la vie de tous les jours, on peut générer de la dramaturgie spectaculaire. Ces petites choses, si on maîtrise l'art du hors champ, peuvent devenir des scènes qui nous broient. Ça faisait longtemps que je voulais m'essayer à ce style cinématographique. Et étant donné que le rapport au sacré très vivant chez les musulmans, c'était quelque chose qui pouvait complètement exister dans la communauté musulmane. Inscrire ce film là et ce type d'émotion dramatique, cinématographique avec des héros qui vivent leur religion en France était possible.

Parler de religion est toujours un sujet casse- gueule, ça ne vous a pas fait peur ?

J’ai évidemment tout cela en tête parce que je vis dans mon époque. Mais je pars du principe d’anthropologie positive, que l'homme est bon. Je préfère me faire arnaquer par quelqu'un que de me méfier de tout le monde. Donc je suis intimement persuadé que mon spectateur va comprendre ma démarche, à mille lieux de tout esprit polémique, avec une honnêteté totale par rapport à mes personnages que je ne cherche ni à mettre sur un piédestal ni à enfoncer. Au cinéma comme dans la vie, j'ai toujours tendance à me méfier de quelqu’un qui se prétend parfait. J’aime les personnages – comme ce Jeune Imam - qui acceptent qu'on n’est que mouvement, que les émotions sont en perpétuelle évolution. Pour moi, un film pareil ne pouvait venir que d’un non- musulman. J’ai voulu partager avec les spectateurs ce rapport très doux avec la religion que j’ai pu avoir. Car j'ai eu la chance de vivre cet islam- là, l'islam de l'immense majorité silencieuse des pratiquants. J'ai dons souhaiter traiter de ce sujet sans que ce soit un sujet de polémique. Sans que ce soit un sujet même. 

LE JEUNE IMAM: KIM CHAPIRON A SON MEILLEUR [CRITIQUE]

Comment se répartit le travail d’écriture avec Ladj Ly ?

On parle d’abord des émotions que ça va générer. Quand on raconte une scène, on essaye de se mettre dans la peau du spectateur et d’imaginer comment on peut toucher. Avec cette idée de trouver des questions qui seront au fond beaucoup plus intéressantes que les réponses. Le Jeune Imam est vraiment basé sur l'art du questionnement qui est au centre des religions en inscrivant notre récit dans une réalité profonde. Je sais, grâce à mes autres films, que le réel est un outil absolument redoutable pour attraper le spectateur. J'ai pu l'expérimenter dans Dog pound en tournant avec de vrais prisonniers, à la frontière du documentaire donc. Avec Le Jeune Imam, on a voulu faire la même chose, plein de gens y interprètent ainsi leur propre rôle. Ce qui permet au spectateur, quand il regarde le film, de prendre les émotions en plein cœur.

Sheitan, Dog pound, La Crème de la crème, Le Jeune Imam. A chaque long métrage, vous arpentez un univers différent. Vous construisez toujours un nouveau film par rapport au précédent ?

Non, c’est quelque chose de plus instinctif. Je fais confiance à la vie qui m'a vraiment souri et je me réjouis tous les jours de faire ce métier qui m'a donné des opportunités de rencontres inouïes et m'a m'a permis de me retrouver dans des endroits où vraiment, je n’aurais dû jamais me trouver. Au fin fond de l'Amazonie avec des mygales et des chercheurs d'or pour la série Guyane. Dans les couloirs d’HEC pour La Crème de la crème. Ou dans des écoles coraniques de villages au fin fond du Mali pour Le Jeune Imam. Tous mes films sont arrivés de manière extrêmement naturelle et il n'y a jamais eu aucune prévision. Car même dans ma vie, je n'ai jamais réussi à me projeter à plus loin que deux jours.

Le Jeune Imam. De Kim Chapiron. Avec Abdulah Sissoko, Hady Berthe, Issaka Sawadogo.... Durée: 1h38. En salles depuis le mercredi 26 avril 2023