Pauvres Créatures
Searchlight Pictures

Le dernier chapitre du livre original d’Alasdair Gray propose une version alternative du récit.

Attention cet article contient des spoilers.

On s’en doute, la plupart du temps, un livre est plus fourni que son adaptation cinématographique. Prenons l’exemple de Harry Potter, dont les livres dévoilent beaucoup plus de détails et de personnages que dans les films, même s’ils restent une adaptation très fidèle. Mais on a rarement, voire jamais, vu un livre dont la fin change complètement l'issue de son adaptation en film ! Et bien c’est le cas de Pauvres créatures.

Le nouveau film de Yorgos Lanthimos met en scène Bella (Emma Stone), une jeune femme ressuscitée par la science du Dr. Godwin Baxter (Willem Dafoe). Celui-ci a récupéré le corps de la jeune femme enceinte fraîchement suicidée pour la ramener à la vie en lui implantant le cerveau de son bébé. On suit alors les pérégrinations d’une enfant dans le corps d’un adulte, forcée de réapprendre à vivre et à exister. Pour les plus curieux d’entre vous, ce film est adapté du roman éponyme d’Alasdair Gray, disponible aux éditions Métailié.

Mais alors comment un roman écrit bien avant le film peut-il le remettre en cause ? A la fin du long-métrage de Yorgos Lanthimos, Bella Baxter a “grandit” par ses expériences et son fabuleux voyage à travers le monde où elle a découvert sa sexualité avec un séducteur mesquin (Mark Ruffalo) ainsi que les nuances infinies entre le bien et le mal. Elle finit par rentrer en Ecosse chez son protecteur et mentor Godwin pour épouser Max McCandless (Ramy Youssef), l’assistant de Baxter, éperdument amoureux d’elle.

Jusqu’ici tout est fidèle au roman, si ce n’est la forme. Le film est mis en scène uniquement du point de vue de Bella, que le spectateur suit dans son voyage, tandis que dans le roman, Alasdair Gray écrit selon de multiples point de vue des différents personnages. Le voyage de Bella n’est appréhendé que par les lettres qu’elle envoie à McCandless et Baxter et qui les lisent au lecteur. L’écrivain joue avec nous puisque nous ne sommes jamais avec Bella contrairement au film.

Au-delà de cette distance mise avec son personnage principal, Alasdair Gray met le coup de grâce dans son dernier chapitre. Son ouvrage est construit comme si l’on tenait dans les mains des documents authentiques. Il conclut son roman par une lettre signée de Bella Baxter, devenue Victoria McCandless (prénom de son ancienne identité avant son suicide) qui explique en une dizaine de page que tout ce que l’on vient de lire n’est que pure mensonge de la part de son mari… QUOI ?

Elle s’adresse à ses potentiels descendants qui viendraient à mettre la main sur ce récit en les avertissant du caractère affabulateur et absurde de cette histoire. Elle réécrit d’ailleurs toute son épopée en niant s’être suicidée, avoir été ressuscitée et tous les événements rocambolesques qui faisaient la saveur de cette intrigue. 

Deux options s’offrent à nous. Ou bien cette lettre rétablit la vérité et démonte complètement le récit raconté par McCandless, ou bien elle en confirme les événements extraordinaires si nous prenons ces écrits comme un moyen raté de dissimuler des faits trop difficiles à comprendre. En clair, elle protège son passé en blâmant son mari. Mais laissons le doute s’installer et optons pour une fin ouverte. Peut-être que c’est vrai, peut-être pas, en tout cas, Pauvres créatures est au cinéma !