Fosse/Verdon
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Diffusée sur Canal + Séries, la nouvelle série de prestige de FX ressuscite le couple star de Broadway.

De loin, le titre Fosse/Verdon évoquait une hypothétique deuxième saison de Feud, l’anthologie de Ryan Murphy consacrée aux grandes rivalités de la pop culture, deux ans après une première salve d’épisodes (Bette and Joan) mettant en scène la guerre des nerfs que se livrèrent Bette Davis et Joan Crawford sur le plateau de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? Mais bien que la chaîne soit la même (FX), et l’ambition esthétique assez proche (ressusciter l’Hollywood des années 60-70 dans tout son glamour et sa folie décadente), rien à voir en fait avec le travail de Murphy. Il y a peu de vertige théorique et d’ironie « camp », et beaucoup plus d’amour que de haine, dans Fosse/Verdon, auscultation de la relation professionnelle et sentimentale entre Bob Fosse (chorégraphe star des années 50-60 puis réalisateur démentiel des 70’s) et la danseuse Gwen Verdon, de leur rencontre durant les répétitions du spectacle Damn Yankees ! en 1955 à la mort de Fosse, en 1987. Entre ces deux dates : un mariage, une fille (Nicole Fosse, qui a servi de consultante à la série), une séparation, un nombre considérable de maîtresses pour Fosse, et quelques hits scéniques légendaires en duo, dont Chicago, en 1975. Le couple cessa de vivre ensemble au début des années 70, mais ne divorça jamais et continua de collaborer et de s’aimer – Gwen était là quand Bob succomba d’une crise cardiaque. Fosse/Verdon a été conçue par l’équipe du musical triomphal Hamilton, et il faut l’envisager comme un hommage au grand homme (et à la grande femme, injustement oubliée), une révérence de la nouvelle génération des stars de Broadway à la précédente. C’est l’évangile selon Lin-Manuel Miranda et ses amis.

Revival
La création, l’inspiration, les doutes, les éclairs de génie, les pulsions suicidaires, la drogue, l’obsession sexuelle, les scènes de ménage… Le programme est alléchant, mais on se demande pourtant très vite, devant le premier épisode, à qui exactement s’adresse la série. Quelle est la notoriété de Bob Fosse aujourd’hui ? En 1973, l’homme décorait sa cheminée avec trois Emmy Awards, un Oscar et deux Tonys, tous récoltés en l’espace de quelques mois. Il était au sommet du monde. Son étoile a depuis pâli et, aujourd’hui, il est surtout adulé par des mémorialistes du théâtre new-yorkais, des rats de cinémathèque bloqués sur le Nouvel Hollywood et quelques fans éclairés de Michael Jackson, qui savent que leur idole lui doit beaucoup. Mais les sixties sont semble-t-il de nouveau à la mode (merci Tarantino) et la comédie musicale est en pleine revival, de La La Land à A Star is Born, en passant par l’imminent Rocketman, évocation de la vie déglinguée d’Elton John sous influence All that jazz (signé Fosse, en 79). Fosse/Verdon tente donc de s’adresser autant aux néophytes qu’aux connaisseurs de l’œuvre. Un équilibre qui paraît logique sur le papier mais s’avère assez difficile à trouver à l’écran. Surtout quand on décide, un peu inconsciemment, de reproduire à l’identique des séquences entières d’un film aussi iconique que Cabaret – comment espérer retrouver la puissance de la performance anthologique de Liza Minnelli ? Mission impossible pour l’actrice Kelli Barrett. Même problème pour la forme donnée au récit : celle d’un biopic diffracté, morcelé, kaléidoscopique, sautant d’une époque à l’autre, et organisant la narration comme un compte à rebours vers l’issue fatale (la mort du héros). C’est la forme que Fosse lui-même avait mise au point dans Lenny, matrice de tous les biopics modernes, puis appliqua à sa propre vie dans All that jazz, sorte d’auto-biopic dont les maniérismes de mise en scène sont parfois repris ici à l’identique, poussant le spectateur à la comparaison, forcément désavantageuse pour la série.

Trip morbide
Ces réserves mises à part, on peut parier que les amateurs de Fosse n’ont pas non plus tous lu la biographie de Sam Wasson qui a servi de principale source documentaire à la série. C’est le meilleur moyen d’apprécier le show : le regarder comme on dévorerait une bio « à l’américaine » - c’est-à-dire très informée, détaillée, nourrie de témoignages de première main, bourrée d’empathie mais aussi d’anecdotes sordides ou graveleuses. Le couple vedette, lui, soutient l’édifice avec panache. Si on regrette que Sam Rockwell ne danse pas assez (c’est pourtant son truc, il ne peut pas s’empêcher de se trémousser dans ses films), Michelle Williams impressionne franchement dans le rôle ingrat et un peu convenue de la muse délaissée, souffrant en silence, mais sauvant systématiquement la mise à son mari dans les moments critiques. Une performance hautement divertissante, dans un écrin très agréable à regarder. Agréable ? Un drôle de mot à accoler à l’œuvre de Fosse, ce long trip morbide qui affirmait, contre toute une tradition hollywoodienne, que le spectacle ne sert pas à conjurer la mort, mais à la convoquer.

Fosse/Verdon, le dimanche sur Canal + Séries (critique basée sur les cinq premiers épisodes)