Le rap et le slam sont-ils à la base des moyens pour vous d’arriver au cinéma ?J’ai toujours été autant passionné par le cinéma et la littérature que par la musique. Quel que soit le support à travers lequel ils se manifestent, les mots restent ma priorité. Mais j’avoue : je rêve de faire du cinéma depuis longtemps.À quel âge êtes-vous tombé dans la marmite du cinéma ?Très jeune, vers dix ans. J’ai beaucoup regardé « Le Cinéma de Minuit » et « La Dernière Séance » sur FR3, qui ont façonné ma cinéphilie. J’assistais aussi souvent aux projections organisées par le ciné-club du Centre de Prévention de Strasbourg (la JEEP), qui passait parfois des films pointus.Avez-vous rencontré des difficultés pour monter votre film ?Pas plus que d’autres, je pense. J’ai pu entendre des remarques sur mon profil atypique mais rien de rédhibitoire. C’est aussi parce que je m’appelle Abd Al Malik que j’ai pu le faire, il faut le reconnaître.Vos choix (le noir et le blanc, l’absence d’acteurs connus) n’ont jamais été questionnés ?J’ai dû me battre, mais ces conditions n’étaient pas négociables. Mon premier film se devait d’être un hommage au cinéma qui, pour moi, est fondamentalement en noir et blanc - et muet. Une fois que je l’ai montré fini aux décideurs, personne n’a contesté mes choix.Est-ce difficile de filmer sa propre histoire, celle d’un jeune de cité qui rêve de s’en sortir ?J’ai beaucoup de recul vis-à-vis de moi-même. Je ne me regarde pas le nombril tout le temps, je ne me trouve pas fabuleux… Enfin, un peu quand même ! (rires) L’important ce n’est pas Abd Al Malik, c’est l’histoire qu’on raconte. En se focalisant sur l’émotion et sur l’humanité, on touche tout le monde.Il y a une filiation assumée avec La Haine, dont votre film, plus solaire et positif, s’éloigne pourtant.Hommage ne veut pas dire copiage. J’avais personnellement envie de montrer autre chose. Mon geste est singulier, comme l’était celui de Mathieu Kassovitz.Chez vous, la violence, sans être absente, est hors-champ. Est-ce une vision juste ou idéalisée de la banlieue ?Elle est juste à 100% ! En banlieue, on D-É-T-E-S-T-E la violence même s’il nous arrive d’y recourir. Pour certains, c’est le seul moyen d’exprimer la souffrance qu’ils endurent. Mais, en vérité, quand on a vu des amis mourir ou qu’on s’est fait tirer dessus, on n’a pas envie de glorifier ça. Le problème, c’est que les gens ne parlent de nous qu’à travers ce canal parce qu’on vit dans une société du spectacle de la misère et de la violence.La violence de La Haine ne vous dérange pas ?Quand je l’ai vu, en 1995, j’étais un ado qui avait le sentiment d’entendre l’un des nôtres s’exprimer. Mathieu avait inscrit son film dans la réalité compliquée du moment. C’était un cri, une sorte de pamphlet qui correspondait à son cinéma engagé. Nous sommes tous reconnaissants à Mathieu d’avoir parlé des jeunes de banlieue avec respect mais La Haine, aussi beau et fort soit-il, reste l’œuvre d’un artiste étranger à la cité. Moi, j’avais envie de la montrer de l’intérieur.Comment avez-vous déniché vos acteurs, qui sont tous incroyables ?Qu’ils soient professionnels ou amateurs, ils viennent tous du Neuhof, le quartier de mon enfance, à Strasbourg. Certains d’entre eux sont mes propres frères, d’autres sont des gamins que j’ai vus grandir… Je tenais vraiment à ce réalisme et à faire participer les gens de la cité. Beaucoup d’entre eux ont bossé à la sécurité et à la régie du film.Autant il y a des différences entre Paris et la province, autant on a l’impression qu’il n’en existe pas entre toutes les cités de France.Je pense comme vous. L’essence de la cité est universelle. Je l’ai constaté à Toronto où l’on a présenté le film. Certains journalistes américains ont par exemple établi des liens entre le Neuhof et Ferguson, cette ville de banlieue américaine qui a récemment fait la une de l’actualité. Il y a des réflexes et des attitudes communes à ceux qui sont un peu mis au ban de la société.Pensez-vous que la cité, dans l’avenir, ne sera plus perçue comme un vecteur de violence mais de richesse pour la France ?Mais ça l’a toujours été ! Dans ma jeunesse, il y avait beaucoup de « Blancs gaulois » qui cohabitaient avec des gens issus de l’immigration et ça créait beaucoup de vitalité. On peut même remonter plus loin : quand je vois la description des milieux populaires faite par Carné et Prévert ou Audiard dans leurs films, je me reconnais dans l’argot employé, dans l’énergie des personnages, dans leur rêve d’amour, dans leur envie de transcender leur condition… J’espère que d’autres gens que moi montreront cette réalité.Interview Christophe NarbonneQu'Allah bénisse la France d'Abd Al Malik avec Marc Zinga, Sabrina Ouazani, Larouci Didi sort le 10 décembre dans les salles : Lire aussiAbd Al Malick honoré à Toronto pour son premier film