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Plongée dans la tête de Charlie Kaufman autour d'Anomalisa.

Après s’être baladé Dans la peau de
 John Malkovich, puis dans la tête de Jim Carrey (Eternal Sunshine...), Charlie Kaufman raconte dans l’étrange Anomalisa une histoire d’amour déchirante. Avec des marionnettes. Son ami Duke Johnson et lui nous expliquent comment ils s’y sont pris.

La critique d'Anomalisa

Vous avez utilisé le pseudonyme Francis Fregoli pour signer la pièce dont le film est tiré, et c’est aussi le nom de l’hôtel dans le film. On peut y voir un indice sur le syndrome de Fregoli, qui désigne le trouble psychiatrique dont souffre votre personnage. De quoi s’agit-il ?
Charlie Kauffman : Il s’agit d’un trouble psychologique qui porte celui qui en est victime à croire qu’un même individu se déguise en plusieurs personnes pour le persécuter. J’avais découvert cette maladie au moment où je projetais d’écrire une pièce radiophonique avec trois interprètes, et je cherchais le moyen de faire jouer plusieurs personnages à un même acteur. La solution m’est apparue : j’ai affecté le personnage de Michael du syndrome de Fregoli. C’était aussi une métaphore pour exprimer sa déconnexion des autres. A cette occasion, j’ai utilisé un pseudonyme, parce que j’avais écrit une autre pièce jouée le même soir. Pour le film, nous ne pouvions pas utiliser le véritable nom de l’hôtel de Cincinnati dont nous nous étions inspirés, alors j’ai repris mon pseudo. C’est un indice que les gens peuvent comprendre ou pas. Toutes les interprétations sont les bienvenues. Personne n’a tort, personne n’a raison.

Difficile d’imaginer que cette histoire a d’abord été jouée sur scène. Quels changements avez-vous apportés pour en faire un film ?
Charlie : L’idée de départ a été développée spécifiquement pour une pièce radiophonique. Il n’y avait donc pas d’action sur scène, seuls des acteurs en train de lire leur texte. Comme il n’y avait rien à voir, j’ai essayé par des moyens strictement sonores de faire comprendre aux auditeurs qu’en dehors de deux personnages tous les autres se ressemblaient. C’est pourquoi j’ai choisi une voix unique pour les interpréter. Lorsque nous avons décidé de l’adapter à l’écran, nous nous sommes demandé comment transformer visuellement des artifices qui, à l’origine, étaient sonores, et nous avons rajouté l’action et les décors que vous voyez dans le film. Il fallait déterminer aussi le ton visuel. De ce point de vue, ce n’était pas très différent d’un projet habituel.

Qu’a apporté l’animation image par image que vous n’auriez pas pu réaliser en prises de vues traditionnelles ?
Duke Johnson :
On aurait pu adapter cette histoire avec de véritables acteurs, mais elle aurait été différente. L’animation lui donne précisément sa spécificité, sa singularité. Ce que nous aimons dans l’animation image par image, c’est sa nature organique, imparfaite. On voit tous les défauts. L’apparence des marionnettes aide à illustrer la nature fracturée des personnages. L’esthétique ajoute une âme et une qualité onirique. Certains thèmes, comme la fatalité, sont illustrés par le fait que les personnages sont animés : on peut sentir l’influence de forces extérieures qui les manipulent.

On n’aurait pas pu non plus représenter autrement tous les personnages avec le même visage.
Duke : Cela serait faisable en utilisant l’image de synthèse, mais l’effet serait très différent. On le remarquerait comme le nez au milieu de la figure. Sous cette forme, on s’attend presque à ce que les personnages aient la même apparence.

L’émotion suscitée par la scène
de sexe n’aurait probablement pas fonctionné de la même façon en prises de vues réelles. Comment l’avez-vous conçue ?

Charlie :
C’est intéressant. De nombreuses personnes nous ont dit que c’est la scène de sexe la plus réaliste qu’ils aient vue au cinéma. Nous avons recherché l’authenticité et le respect des personnages. Nous avons essayé d’être fidèles à la façon dont nous pensions qu’ils se comporteraient à ce stade de leur relation après tout ce qui avait précédé. Nous ne voulions pas que cela puisse avoir l’air comique ou que l’on puisse détourner les yeux. La scène devait se dérouler dans son intégralité. Nous souhaitions qu’ils aient des corps qui ne soient pas ceux d’acteurs. Je crois que les spectateurs se sont sentis proches de cette scène de sexe parce qu’ils ont reconnu que ça n’était pas des acteurs en train de simuler devant une équipe de tournage. Ce fait retiré de l’équation a pu jouer au niveau inconscient. Ce sont autant de particularités, plutôt inhabituelles au cinéma, qui contribuent, peut-être, à donner à l’ensemble une impression d’authenticité.

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Anomalisa sort en salles le 3 février