C’est une première et c’est une sacrée surprise. A la rentrée, le Théâtre des Déchargeurs, situé au cœur de la capitale à deux pas de Châtelet, ouvre sa saison 2014-2015 par une carte blanche au metteur en scène Bernard Sobel, metteur en scène engagé, fervent passeur de l’œuvre dramatique de Bertolt Brecht, longtemps directeur du Théâtre de Gennevilliers dont il est à l’origine, s’impliquant dans la création autant que dans la vie de la cité, mu par des convictions sociales jamais délaissées. Depuis qu’il est sans lieu de résidence fixe, Bernard Sobel et sa compagnie avancent en nomades, au grès des institutions qui les accueillent.Programmés par les plus prestigieux Centres Dramatiques Nationaux (Théâtre de la Colline, Chaillot, MC 93, Amandiers…), passés régulièrement par le Festival d’Avignon et la Comédie-Française, ses spectacles s’attachent à mettre en avant le répertoire au sens le plus large du terme, sautant de Shakespeare à Heiner Müller, de Molière à Marlowe, de Kleist à Claudel, d’Euripide à Pirandello, d’Ostrovski à Beckett… Brecht restant l’auteur de prédilection d’un artiste fidèle à son éthique autant qu’à son esthétique, celui auquel il revient sans cesse, comme la source même de son désir de théâtre. Il est donc étonnant qu’après une carrière aussi foisonnante de créations et un parcours aussi durable du côté du Théâtre public, Sobel se retrouve dans la position de jouer dans ce "petit" théâtre indépendant qu’est les Déchargeurs, certes largement méritant, sélectif artistiquement, mais au rayonnement nettement moindre qu’un CDN. Et pourquoi pas ? Si l’hospitalité espérée s’est trouvée là, de la part de ses deux directeurs Lee Fou Messica et Ludovic Michel, pourquoi ne pas y répondre, tenter la nouveauté, éprouver le paradoxe de la situation ? Pourquoi pas se trouver là où le public ne vous attend pas ? Le défi est intéressant, tant pour le théâtre que pour le metteur en scène.Qu’en dit Bernard Sobel ? "Grâce à l’hospitalité et à la collaboration du théâtre Les Déchargeurs, il s’agit avant tout pour moi avec cette Carte Blanche, de "manifester" la continuité du travail de la compagnie dont j’ai depuis bien des années la responsabilité. Ne pas voir brisés, faute de lieu, les liens établis avec le public au fil du temps, poursuivre le dialogue engagé, tel était notre souci."Et que présente-t-il ? Un grand écart textuel, à travers deux auteurs que Sobel a déjà fréquenté, Guan Hanqing, écrivain chinois du XIIIème siècle et Richard Foreman, auteur contemporain new-yorkais. Ainsi, le spectateur peut découvrir l’univers de Guan Hanqing en première partie de soirée (premier spectacle à 18h30) avec deux pièces, Sauvée par une coquette et Le Rêve du papillon, avant de faire un bond spatio-temporel et de plonger dans celui de Richard Foreman avec Old-Fashioned Prostitutes présenté en alternance avec L’Idiot savant (à 21h)."Accompagner Guan Hanqing dans la Chine du XIIIe siècle ou Richard Foreman dans les rues de New-York aujourd’hui, c’est, pour nous, entre autres façons, être "de notre temps"." explique Bernard Sobel. Car le théâtre de répertoire, s'il questionne avec justesse les œuvres du passé, les fait entrer en collision avec les enjeux et interrogations de notre époque. C'est là sa force irréductible, sa merveilleuse intemporalité.Par Marie Plantin