Benjamin Voisin et Emmanuelle Bercot dans L'Esprit Coubertin
Bac Films

L’acteur mérite la médaille d’or pour son interprétation géniale d’un champion de tir puceau et mal dans sa peau qui devient la dernière chance de titre olympique pour la France.

L’esprit Coubertin est venu exploser la dernière ligne droite du festival de L'Alpe d'Huez. Comédie non-sensique sur les JO, mélange de slapstick, de satire mauvais esprit (prends ça Coubertin !) et portrait hilarant d’un inadapté, le premier film de Jérémie Sein est un OVNI dans lequel Benjamin Voisin impose son talent de comédie. Le jeune acteur incarne Paul, un champion de tir surdoué, un peu gauche mais très puceau, qui se retrouve au village olympique pour les JO de Paris. Alors que la délégation Française multiplie les échecs, Paul va devenir la dernière chance de médaille. Mais un voisin de chambre très embarrassant (Riwaldo Pawawi au flegme imparable), sa coach très envahissante (Emmanuelle Bercot, hilarante) et un patron des sports très gênant (Grégoire Ludig en ex-judoka) vont lui mettre des bâtons dans les roues. Sein, qui appartient à la team de la série Parlement signe un film mordant, qui avance entre la BD ligne claire (on pense beaucoup à Gaston Lagaffe), la comédie sociale et cinglante des 70s françaises et les classiques américains (l’ombre de Judd Apatow aura plané sur les meilleurs films de cette sélection). Incroyablement précis mais également très libre (voire libertaire) L’Esprit Coubertin ne serait rien sans son brillant casting dominé par un Benjamin Voisin fantastique. Interview express.

La première question qu’on a envie de vous pose en sortant du film c’est : qu’est-ce que ça fait de se faire galocher par Emmanuelle Bercot ?

C’est un plaisir suprême. Il m’a fallu deux ou trois prises avant de comprendre qu'il y avait une caméra, que c'était un film, et que ce n'était pas honnête de sa part. Elle a été très professionnelle (sourire). Plus sérieusement, j'adore Emmanuelle. On commence à se connaître, on a fait trois films ensemble, et notamment le triptyque de Philippe Faucon. Dans Fiertés, j'avais 17 ans et c'était ma première véritable expérience de cinéma. Il m'avait donné ce premier rôle et Emmanuelle jouait ma mère. Elle a été merveilleuse…

Dans le film, vous êtes un peu moche, très complexé, et vaguement paumé… Comment est-ce que vous avez abordé ce rôle qui ressemble à un contre-emploi ?

Comme le héros : j'ai fermé les yeux pendant sept semaines. En fait, les premiers jours, on a travaillé un peu la tenue du corps, les tics, la physicalité du personnage. Et puis après, ce fut instinctif. Je faisais confiance à Jérémie. Je me suis beaucoup reposé sur son écriture particulièrement pertinente, drôle et acerbe parfois.

Le film appartient à un genre de comédie atypique, avec beaucoup de changement de rythme, de ton même.

Oui, et c’est ce qui me plaisait. J’ai compris ça au scénario, et sur le tournage, Jérémie prenait des options de mise en scène que je trouvais audacieuses. Il pouvait privilégier les contrechamps silencieux, ou laisser durer certaines scènes... J'adore son monteur qui a un instinct de comédie très fort. J’avais entièrement confiance en eux. Cela dit, pour être tout à fait honnête, quand le tournage s’est rapproché, il m'est arrivé de me demander ce que j'étais en train de faire ! J'ai un peu flippé en amont, pendant les deux semaines précédentes, mais après j'ai mis des œillères je n’ai plus réfléchi à rien et j'ai tout envoyé.

Concrètement, comment avez-vous abordé le rôle de Paul ?

J’essaie toujours d’enlever le côté psychologique des personnages et j’utilise souvent des métaphores d'animal. D’habitude je fais ça dans mon coin, mais là, j’en ai parlé avec Jérémie. Pour Paul, j’ai pensé à la girafe. La tenue du cou, la lenteur dans le regard et cette fixité un peu bête de bovin. C’est un type calme et agité à la fois et la girafe possède cela. Après on a fait des répétitions chez Jérémie, dans son appart’, pour trouver la démarche, pour chercher le niveau de jeu, contrôler et diminuer. On a mis au point une bonne méthode : pour chaque séquence, je faisais trois prises avec des niveaux de comédies de plus en plus prononcés. La première prise était quasiment pas jouée – un peu comme je le fais sur des drames où les choses viennent comme je les sens. Je jouais le moment. Peu de nuque, très peu de tics. Pour la deuxième prise je proposais ce que j'imaginais du rôle. Et dans la troisième je faisais tout péter. Vu le travail de Jérémie et de son monteur, je savais que tout cela leur servirait au montage et qu'ils pourraient doser en postprod. C'était un vrai travail de chirurgical.

Le film a un côté extraordinairement lâche et en même temps très précis.

Jérémie n'arrive pas les mains dans les poches sur le plateau. Il avait le film en tête et, chez lui, il y avait des dessins partout, qui concrétisaient toutes les idées qu'on avait eues. C’était une direction artistique très précise. Le cadre était très travaillé, très ouvragé, mais à l'intérieur des scènes, une fois qu'on avait chopé le ton de comédie, c’était très libre.

On est très loin de vos rôles des Illusions perdues ou de Eté 85. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce rôle ?

Tous les acteurs ont un objectif. Il y a ceux qui veulent faire des entrées, ceux qui veulent aller à Cannes chaque année et ceux qui veulent faire les films qui les rendront fiers. Moi, le truc qui m'amuse le plus, c'est d’explorer des univers variés, histoire de rencontrer des gens différents et de m’ouvrir à des idées neuves. Par exemple, j’aimerais beaucoup faire une comédie musicale, ou un film d'horreur. Jérémie est arrivé au moment où je cherchais ça, un truc à part.

Ca rejoint l’impression qu’on a depuis le début du festival : une nouvelle génération d’auteurs et d’acteurs, sont en train de faire exploser les coutures de la comédie française. Jérémie a tourné des épisodes de Parlement et Xavier Lacaille était présent au début du festival pour Bis Repetita

C’est amusant parce que Xavier est venu sur le tournage. Il avait une scène qui a été coupée parce qu’elle cassait le rythme… On était parti dans une impro qui ne marchait pas finalement. Mais il y a un lien logique entre le rôle de Samy dans Parlement et Paul dans ce film. Je vois l'énergie dont vous parlez, et moi j’ai précisément besoin de cette énergie, de la naïveté de ces jeunes réalisateurs pour me nourrir !