Thunder Road
Paname Distribution

Rencontre avec l’acteur-réalisateur révélé par Thunder Road, porte-parole survolté du cinéma indépendant US et invité d’honneur du Champs-Elysées Film Festival.

Jim Cummings propage la bonne parole. Sur Twitter et dans les festivals, d’Austin à Cannes en passant par Deauville, l’acteur et réalisateur est devenu le héraut de la nouvelle génération des cinéastes indé américains. Il a fallu d’une scène, la première de son film Thunder Road, en 2018, pour que le phénomène Cummings explose : en flic moustachu tentant maladroitement de saluer la mémoire de sa maman sur un air de Bruce Springsteen, l’homme révélait sa nature foldingue d’héritier lo-fi de Jim Carrey et un certain génie dans l’art du do it yourself. Après une tentative légèrement plus cossue (The Wolf of Snow Hollow, resté inédit en France), Jim Cummings revient à ses racines fauchées avec le très amusant The Beta Test, une satire d’Hollywood où il joue un agent de stars rendu parano par d’étranges rencontres sexuelles, et qui personnifie un système pas encore complètement remis de la chute d’Harvey Weinstein. Quelque chose comme un mix de Bret Easton Ellis et de La Quatrième Dimension, mais rigolo, qui sortira chez nous le 15 décembre et que Jim Cummings présentait cette semaine en avant-première au public du Champs-Elysées Film Festival.

Première : Le magazine Variety vous décrit comme « le gourou du cinéma indépendant », ça vous va comme définition ?

Jim Cummings : Ah, ah ! Le bouddha tant qu’on y est ! Mais OK, ça me va. Les deux plus gros problèmes du cinéma indépendant sont le financement et la distribution et, avec Thunder Road, on a un peu trouvé la réponse à ces problèmes. Donc je me permets de donner des conseils aux gens sur Twitter : voici comment monter une campagne de financement, comment fonctionne l’auto-distribution, comment ne pas se faire enfler par le système, qui veut juste se faire de l’argent avec ton film et ne rien te donner en retour. Je ne suis pas le premier à me faire l’avocat de cette cause, des gens comme Mark Duplass ou Sean Baker l’ont fait avant moi. J’accepte ce rôle, parce que beaucoup de cinéastes débutants ont besoin de conseils. Mais en vrai, je n’ai rien d’un gourou, je ne suis rien d’autre qu’un réalisateur et un drôle de nerd cinéphile, qui passe sa vie à regarder des films et à en faire.

Aujourd’hui, tous les apprentis réalisateurs américains rêvent de faire leur Thunder Road

On a distribué nous-mêmes le film parce qu’on n’avait pas le choix. La plus grosse offre que nous avait faite les distributeurs n’équivalait qu’à la moitié du budget du film – qui avait coûté 200 000 dollars. Aucune chance que j’aille voir les investisseurs en leur disant : "Hey, désolé, j’ai perdu la moitié de votre argent !" Le Sundance Institute nous a accordé une bourse, on a pu sortir Thunder Road nous-mêmes et ça a explosé : le film a rapporté 700 000 dollars. Les gens nous disaient : « Vous ne pouvez pas faire ça, ça ne se fait pas. » Mais aujourd’hui, il y a plein de moyens de contourner le système, grâce au financement participatif, à iTunes, à YouTube, etc. Hollywood ne veut pas que tu connaisses tous les différents leviers qu’on peut actionner, parce qu’alors tu deviens leur adversaire. Or, les films indés sont beaucoup plus intéressants que les putains de films hollywoodiens. Ça non plus ils n’ont pas intérêt à ce que ça se sache !

Thunder Road : du tragi-comique décapant

Et aujourd’hui, avec The Beta Test, vous faites votre film sur Hollywood…

Fuck’em ! Qu’ils aillent se faire foutre !

Certains réalisateurs tournent des déclarations d’amour à Hollywood, pas vous…

Moi, c’est une putain de lettre d’insultes, ah ah ! A fuck you letter. Non, franchement, Hugo Cabret, de Scorsese, ça c’est une belle déclaration d’amour. Mais une déclaration d’amour au cinéma, pas à Hollywood. Regarde Mank, de Fincher : c’est une description terrifiante des premiers temps d’Hollywood – un monde horrible, abject. La La Land ? Le type est doué, mais je ne pourrais jamais faire un film comme ça ! On a vu tellement de nos copains être victimes du système hollywoodien qu’on avait envie de s’en moquer. Avec The Beta Test, on voulait faire l’équivalent d’un épisode de South Park, raconter comment cette ville nique les esprits créatifs.

Il paraît que David Fincher est fan…

Oui, j’ai envoyé le film à Cean Chaffin, sa compagne et productrice. J’ai travaillé pour elle en tant qu’assistant sur Benjamin Button – je viens de la Nouvelle-Orléans, où le film se tournait. Cean m’avait présenté David rapidement. J’essaye de ne pas trop l’embêter, mais je lui envoie un mail de temps en temps, comme quand j’ai gagné le prix à Sundance avec Thunder Road. Elle m’a toujours beaucoup encouragé. Là, The Beta Test, je me suis dit que ça pouvait les faire marrer, parce qu’on se fout des agents et que je sais que Fincher déteste les agents. Il n’en a pas, d’ailleurs. Et Cean m’a dit qu’ils avaient regardé le film un soir et que David avait apprécié, il a dit que j’avais du talent. Wow ! Cool ! Fincher m’aime bien ! Je peux prendre ma retraite !

The Beta Test
Vanishing Angle

 

Il y a cette réplique dans le film qui résume la manière dont vous voyez Hollywood : « Tout le monde veut encore être Harvey »…

Et c’est vrai ! Harvey Weinstein est en prison mais pas le système qui l’a soutenu. Tous ceux qui savaient ce qui se passait, qui ont créé cet écosystème destructeur pour les femmes, sont toujours en place. Harvey est toujours leur role model. Ils continuent de s’habiller comme lui. Ils lui ressemblent même tous un peu, c’est répugnant. Ils veulent tous encore être ce producteur hyper puissant, vindicatif et colérique qui crie au téléphone. C’est ça qu’ils aiment. C’est pour ça qu’ils sont entrés dans l’industrie du cinéma : pour crier au téléphone sur leurs subordonnés. Ils utilisent aujourd’hui le mouvement #MeToo comme une façade, une publicité pour que leurs boîtes aient l’air plus propre. C’est écœurant. Ils friment parce qu’ils incluent des femmes et des gens de couleur dans leurs projets. Mais le cinéma indépendant fait ça depuis cent ans !

Vous aviez demandé à Bruce Springsteen l’autorisation d’utiliser sa chanson « Thunder Road ». Vous êtes resté en contact avec lui ?

Sa femme, Patti Scialfa, m’a envoyé un message sur Instagram quand Thunder Road est sorti sur Amazon. Elle a écrit une adorable critique du film et m’a dit qu’ils l'avaient regardé en famille, à Noël, elle, Bruce et les enfants. On s’envoie des messages régulièrement depuis, avec Patti. Ma mère, pour son soixante-dixième anniversaire, est allé voir Bruce à Broadway et elle a pu aller lui dire bonjour en coulisses. Il a été très gentil. Qu’est-ce que je raconte ? Bien sûr qu’il a été gentil ! C’est Bruce Springsteen ! C’est un mec très cool !

Donc vous écrivez régulièrement à la femme de David Fincher ET à celle de Bruce Springsteen ?

Oui, c’est comme ça qu’on se rapproche des icônes américaines super cool. En sympathisant avec leurs femmes sur Instagram !

Champs-Elysées Film Festival, à Paris jusqu’au 21 septembre.
The Beta Test, de Jim Cummings et PJ McCabe, sortie le 15 décembre.