Le Grand Bal
Pyramide Distribution

Rencontre avec la réalisatrice du documentaire Le Grand Bal, présenté à Cannes en mai dernier.

On a découvert Le Grand Bal sur la plage de Cannes lors du dernier festival. Et on n’a croisé que des gens heureux.

Les journalistes et le public non-professionnel ont beaucoup plus apprécié que les exploitants. De ce côté-là, c’était une cata : ils avaient déjà vus deux films le matin, ils avaient pris un gros repas à midi… Du coup ils n’ont pas du tout accroché. Beaucoup se sont endormis, d’autres sont partis parce qu’ils voulaient être à l’heure pour voir Rafiki.

Etonnant. D’autant que votre film, qui parle d’un festival, questionne ce qu’on vivait à ce moment-là : la transe collective, la perte de repères, l’épuisement…

C’est vrai qu’on retrouve un peu la même énergie, mais elle n’est pas aussi nourrissante en ce qui me concerne : à Cannes, j’ai l’impression de me vider petit à petit. C’est plus fatiguant pour moi que de danser non-stop pendant une semaine. Heureusement qu’on tombe sur quelques films bouleversants, comme Heureux comme Lazzaro, dont je ne me suis toujours pas remise.

Vous expliquez qu’en tant que danseuse, vous aimez convertir les débutants à la danse. Le film est un prolongement de cette mission ?

Exactement ! Mon rêve, c’est que les gens retournent au bal tous les week-ends. Parce que je trouve que notre société manque cruellement de rituels. A quelles occasions ma grand-mère dansait ? Pour les fêtes, les mariages, les baptêmes… Mais rien ne nous empêche d’inventer de nouvelles formes de rituels en prenant acte du passé. Nos bals d’aujourd’hui ne ressemblent en rien à ceux de ma grand-mère.

 

Découvrez des extraits du documentaire Le Grand Bal

Vous pourriez vous contenter de danser.
Tous mes films partent de ma vie. Je ne me demande jamais : « tiens, de quel sujet je pourrais parler ? ». Quand je vis quelque chose de beau, qui prend de la place dans ma vie, je ne peux pas me résoudre à le garder pour moi. L’élan initial est toujours un élan de partage. Et le cinéma est simplement mon moyen d’expression préféré. Quand j’ai fait mon film sur Edmond Baudouin, c’était pour transmettre sa manière de voir le monde, qui m’apportait tellement au quotidien. Même chose aujourd’hui avec le Grand Bal, que je fréquente depuis longtemps. 

On sent que le montage du film a été déterminant. A cet égard, la voix off n’est pas une coquetterie ou une béquille, elle définit la structure.

C’est en effet sur la voix off que s’arcboute toute la narration. Mais ça, c’est lié à ma manière de travailler. J’aime écrire mes films après avoir récolté plein de matière – là, on avait plus de 200 heures de rushes. Ça ne veut pas dire pour autant que je ne prépare rien en amont. Je sais précisément ce que je vais chercher. Mais je n’ai pas le film dans la tête. C’est pour ça que je ne passe jamais moins d’un an en montage.

Y a-t-il des films sur la danse, documentaires ou fictions, qui vont ont guidée ?

On a pas mal fouillé avec la chef op’ Karine Aulnette… On a revu ensemble les Dirty Dancing, Le Bal D’Ettore Scola bien sûr, ou la magnifique scène de bal dans Fort Apache de John Ford. Mais ça ne m’aidait en rien pour mon film. On ne filme pas un vrai bal de la même façon qu’un bal de fiction. Je me suis plutôt inspiré du « cinéma du réel », comme Samuel Collardey ou Party Girl de Marie Amachoukeli et Claire Burger, qui sont sur le fil du rasoir entre documentaire et fiction. Chez eux, les gens jouent leur propre rôle ; dans mon film, ils se sont mis eux-mêmes en scène.

Le Grand Bal : mode d'emploi

Au-delà des histoires individuelles, le film peut se voir comme un précipité de sociologie contemporaine : on y évoque les rapports de genre, de générations...

J’allais chercher tout ça, mais je me suis fait prendre par surprise par l’émergence de la question du consentement. Quelques mois après cet été 2016, il y a eu l’affaire Weinstein, MeToo, Balance ton porc... Je vis pourtant sur le plateau de Millevaches (ndlr. dans la Creuse), dans un milieu très féministe ; et au Grand Bal, ce sont des problématiques qu’on aborde depuis des années. On cherche du vocabulaire : au lieu d’homme et femme, certains disent « guideur » et « guidé », d’autres « les choux » et « les fleurs »… Ce qui n’est pas vraiment mieux. Mais cette année-là, spontanément, plein de nanas se sont mises à prendre la parole. Comment signifier les limites de son consentement à un partenaire ? Pourquoi les femmes sont autant sous-représentées dans les groupes de musique ? Ces questions ne s’étaient jamais posées avec autant d’insistance. Si j’avais voulu, j’aurais pu faire tout un film là-dessus. C’était vraiment dans l’air du temps.

Par ailleurs, vous montrez le Grand Bal comme un espace sans conflit.

C’est vrai que la douceur est au centre des relations. Des conflits d’égo, des mecs qui pètent un câble, il y en a de temps en temps, mais ils sont tout de suite pris en charge par le groupe. Parfois, j’ai l’impression d’être face à une nouvelle humanité bienveillante, qui n’existe que là. Ce qu’on voit souvent, par contre, ce sont des gens qui pleurent. Peut-être parce que qu’ils sentent que c’est un espace où ils en ont le droit. Quand on débute, on est renvoyé à ses propres limites ; il y a la jalousie, le regard qu’on porte sur les autres et sur soi. Pour dépasser ça, il faut mener un travail intime qui laisse des traces. On passe sans cesse du rire aux larmes, c’est une tempête émotionnelle permanente.