Mon cher enfant
Bac Films

Avec Mon cher enfant, le cinéaste tunisien révélé par Hedi traite avec une infinie finesse de la radicalisation par le prisme d’une relation père- fils faite de malentendus et de non-dits. Retour sur l’aventure de ce film co- produit, comme son premier, par les frères Dardenne.

Quel est le point de départ de Mon cher enfant ?

Mohammed Ben Attia : Tout a débuté alors que je trouvais en Tunisie, en repérages pour mon premier long métrage Hedi. J’entends alors à la radio le témoignage d’un père dont le fils s’est radicalisé. Il s’y montrait incroyablement factuel et racontait par le menu le chemin parcouru – de la Tunisie à la Syrie en passant par la Turquie – pour tenter de le retrouver. Ce témoignage m’a tellement bouleversé que j’ai appelé la radio pour rentrer en contact avec lui.

Avec déjà en tête l’idée d’en faire un film ?

Non, juste pour lui parler. On m’a donné son numéro, on a échangé. Puis j’ai mis tout cela de côté le temps du tournage d’Hedi. Ce n’est qu’au moment de la post- production que j’ai commencé à écrire des notes.  Avec, alors, l’envie de faire un film d’ « action » en m’appuyant sur les faits racontés par cet homme. Raconter son itinéraire sans mélodrame ni psychologie. Montrer les faits bruts comme dans un reportage. Puis au fur et à mesure, je m’en suis éloigné

La première partie de Mon cher enfant se concentre d’ailleurs sur la relation d’un adolescent à sa famille mais sans jamais anticiper son basculement vers la radicalisation. Etait- ce chez vous une volonté de jouer avec le spectateur ?

Cette première partie montre en effet un fils rejetant petit à petit le modèle que lui offre sa famille mais sans parvenir vraiment à la formuler. L’idée n’était pas pour autant de jouer artificiellement avec les nerfs des spectateurs. Mais, au contraire, de distiller des pistes comme les pièces d’un puzzle qui allait prendre tout son sens à la dernière image.

Avec la volonté évidente de vivre ce récit à travers les yeux du père et non celui du fils. Pourquoi ce choix ?

Explorer les réactions de ceux qui restent m’intéressait plus que raconter ce qui se passe dans la tête de celui qui part. J’aurais d’ailleurs été présomptueux de me prétendre omniscient sur le phénomène de la radicalisation. Car plus je me documentais pendant l’écriture, plus je regardais leurs vidéos, moins je comprenais ce qui pouvait se passer dans la tête de ceux qui font ce choix. Le profil de chacun est si différent qu’en tirer un portrait- robot me semble absolument impossible.

Comment avez-vous trouvé les interprètes de ce duo père- fils, Mohamed Dhrif et Zakaria Ben Ayyed ?

Mohamed fut une évidence dès le départ pour mon directeur de casting qui me l’a fait rencontrer. Il n’a eu que deux ou trois rôles dans les années 80 dont une apparition dans L’homme cendres puis plus grand chose depuis. Dès que je l’ai rencontré, j’ai su moi aussi que c’était lui avant… de douter en passant 4 heures en tête à tête avec lui. J’ai donc demandé à ce que le casting continue. Jusqu’à ce que Mohamed m’envoie une vidéo où il se filmait dans sa cuisine avec son portable. Là j’ai compris à quel point il était à fond dans le rôle ! Il a dès lors été à la fois très disponible et très déstabilisé par le nombre de prises et mon obsession du détail dans les déplacements. Et surtout il n’était pas convaincu de son jeu. Il trouvait qu’il n’en faisait pas assez, que les gens n’allaient pas comprendre son personnage. Sa méthode de travail est aux antipodes de celle de Zakaria qui, lui, se situe plus dans la technique pure que dans la psychologie. Il respecte les directions que vous lui donnez avec une précision incroyable. Même s’il m’a avoué à la fin du tournage… ne pas avoir lu le scénario ! Car il ne voulait pas savoir la fin…

Comment l’aviez vous repéré ?

Zakarya est musicien, il joue de la guitare, il compose, il chante et avait juste fait trois ou quatre pubs comme acteur. Il est venu le premier jour du casting pour simplement donner la réplique au père. Et s’est imposé tout de suite comme une évidence.

Comment avez-vous imaginé la lumière de Mon cher enfant avec votre directeur de la photo Frédéric Noirhomme qui était aussi celui d’Hedi ?

On a cherché à corriger les défauts que j’avais pu trouver dans Hedi. Trop de facilités de style par exemple. J’avais pu me faire piéger par une certaine obsession de la beauté technique au détriment de l’intrigue en elle- même. Ici, on a vraiment travaillé séquence par séquence. En réfléchissant au meilleur moyen de traduire en images l’émotion de chacune. L’important était de trouver la bonne distance entre la caméra et cette famille pour éviter tout jugement hâtif et faciliter l’adhésion à cette histoire.

D’où l’idée de tourner essentiellement en plans séquences ?

Cette idée n’était pas présente à l’écriture. Mais en discutant avec Frédéric, j’ai pensé que la multiplication des champs- contre- champs et des gros plans sur les visages risquait de vite alourdir le propos. Pour autant, il n’y a eu aucun systématisme. Si une scène avait besoin d’être plus découpée pour mieux traduire l’émotion que je voulais faire passer, cela se faisait très naturellement.

Avec ce travail sur les plans séquence et cette idée d’un récit qui prend son temps, on n’est pas surpris de retrouver à vos côtés comme producteurs, les frères Dardenne qui vous avaient accompagné sur Hedi. Comment se passe votre collaboration ?

De manière très différente que sur Hedi. Ils m’ont fait plus confiance et ne sont vraiment intervenus qu’au moment du montage. Où je les ai sentis déroutés. Ils ont eu des doutes sur la compréhension de l’intrigue. Ils avaient notamment peur que la fin du film soit un peu trop lente et perde le spectateur.

Cela peut paraître surprenant au vu de leur cinéma…

J’en fus moi- même très étonné. Mais ces discussions furent passionnantes. Et j’ai tenu compte de nombre de leurs réflexions car j’étais sans doute parti un peu loin dans le côté abscons. Avoir un regard extérieur qui, tout en comprenant votre démarche, sait vous corriger sans vous trahir n’a pas de prix. Mon premier montage était moins clair que la version finale. Ces regards extérieurs m’ont permis d’être moins inutilement radical.


A lire aussi sur Première