This Much I Know To Be True
MUBI

Le réalisateur de L’Assassinat de Jesse James retrouve le chanteur pour un nouveau documentaire, six ans après One More Time With Feeling.

La mort est le grand sujet d’Andrew Dominik. Le cinéaste australien s’est fait une spécialité des portraits d’icônes disparues précocement, tragiquement, de Jesse James (L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) à Marilyn Monroe (Blonde, à la rentrée sur Netflix). Il filme des idoles assassinées, mais aussi des tueurs à gages (Cogan – Killing Them Softly) et des tueurs en séries (Mark "Chopper" Read, dans son premier long métrage, ou Charles Manson, le temps d’un épisode de Mindhunter). Cette obsession a trouvé un prolongement documentaire troublant dans son compagnonnage avec le rockeur Nick Cave.

En 2016, Dominik portraiturait Cave alors que le leader des Bad Seeds venait d’être frappé par une tragédie : la mort accidentelle de son fils Arthur, 15 ans, tombé d’une falaise des environs de Brighton. One More Time With Feeling était un extraordinaire documentaire musical, un extraordinaire documentaire tout court, qui observait patiemment, fraternellement, dans un noir et blanc sépulcral, un Nick Cave stupéfait, défait, détruit, enregistrer les chansons de l’album Skeleton Tree, écrites avant le drame, et qui résonnaient soudain toutes comme de terrifiants présages – des histoires d’anges tombés du ciel, de deuils inconsolables, d’absences impossibles à accepter.

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Six ans plus tard, This Much I Know To Be True, visible sur la plateforme MUBI, est une sorte de suite de One More Time With Feeling. Sa face B. Le film sort, glaçante ironie, alors que Nick Cave vient d’être frappé par un nouveau drame : un autre de ses fils, Jethro Lazenby, est mort en mai dernier, à l’âge de 31 ans. This Much I Know To Be True entendait pourtant montrer un homme nouveau, apaisé, heureux, accomplissant son lent travail de deuil, ayant revu l’ordre de ses priorités, plaçant désormais ses rôles de père et de mari avant ceux d’artiste et de musicien, et ayant fini par réaliser que sa vie avait un sens.

Structuré autour de l’interprétation live, dans une usine désaffectée de Brighton, de morceaux de deux albums récents du chanteur, Ghosteen et Carnage, This Much… est beaucoup plus buissonnier que son prédécesseur. En intro, on voit Nick Cave expliquer que la pandémie de Covid, puisqu’elle l’empêchait de partir en tournée, l’a poussé à une reconversion, "à la grande horreur de [son] manager", dans… la céramique. Il expose alors une collection de figurines de sa confection, qui représentent le diable, saisi à différents moments de son existence. La scène est à la fois symbolique et très prosaïque. Cave y témoigne des contingences très terre-à-terre de la vie d’artiste (même une célébrité comme lui a besoin de faire bouillir la marmite) autant que de sa part abstraite – on comprend que le chanteur continue de se projeter dans ces figures maléfiques, diaboliques. Sous la blouse blanche de l’artisan, il dissimule à peine son éternelle défroque de prince des ténèbres.

Cette introduction à la fois profonde et badine donne le ton d’un film baguenaudeur : Marianne Faithfull passe chanter une chanson, Andrew Dominik s’attarde soudain sur la figure de Warren Ellis, le complice musical de Cave, avant de revenir filmer le chanteur devant son ordinateur, répondant aux messages de ses fidèles sur son site The Red Hand Files, dans des échanges qui ressemblent à des thérapies de groupes. Cave sourit, se marre (image rare), discute en visio avec un autre de ses fils, qui le chambre tendrement, et ces bribes de vie ordinaires sont là pour souligner la part de théâtralité que Cave met dans ses performances douloureuses, élégiaques, saisies par Dominik à coups de travellings envoûtants. Malgré la précision et l’élégance de la mise en scène dans la captation des chansons, le documentaire paraît désarticulé, presque désinvolte dans sa structure. Peut-être parce que c’est le premier film d’Andrew Dominik qui laisse entrer autant de lumière, le premier où la vie, à la fin, semble gagner du terrain sur les ténèbres. En attendant Blonde

This Much I Know To Be True, d’Andrew Dominik. Disponible sur MUBI à partir du 8 juillet.

Alice Diop, Andrew Dominik, Peter Weir… que voir sur MUBI en juillet 2022