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Qu’il soit ce mois-ci à l’affiche de deux films aussi différents que Le Hobbit – La Désolation de Smaug, de Peter Jackson, et Zulu, de Jérôme Salle, permet de mesurer le chemin parcouru par Orlando Bloom. Pendant longtemps (dix ans), il a tout fait pour être une star. Pas un acteur ni un artiste comme son pote Johnny Depp, mais la tête d’affiche. En 2001, sorti de nulle part (la British American Drama Academy), il brûle la Terre du Milieu et le coeur des midinettes grâce à ses longs cheveux blonds platine, ses oreilles pointues et son carquois dans le dos. Avec ce Legolas, le cinéma inventait Orlando Bloom comme incarnation de la beauté éthérée et mythologique (il a aussi incarné Pâris dans Troie). Coopté par Hollywood, il part deux ans plus tard en haute mer pour ferrailler contre Johnny Depp dans le premier Pirates des Caraïbes.Associé à deux franchises extrêmement juteuses, Bloom rentre dans le club très sélect des mecs les plus beaux de la planète. « Enfin, pas si sélect, précise-t-il au téléphone. Et ça ne dure pas éternellement. Ça peut même devenir un piège. » Chaque fois, c’est la même chose : sa beauté, son fantastique souffle de voix et ce phrasé d’une douceur féminine qui confère à son corps une légèreté folle suffisent à faire le job, à créer l’illusion. C’est là tout son problème car Bloom n’a jamais été jugé qu’à l’aune de son physique, qui relègue ses vrais talents d’acteur au second plan. En aurait-il donc assez de jouer les poster boys ? « Legolas et le pirate Will Turner sont des rôles formidables mais, depuis quelques années, je ressens le besoin de montrer d’autres facettes de moi-même », analyse-t-il. Jérôme Salle, qui l’a dirigé dans Zulu, confirme : « C’est un type brillant, vivant et sauvage. Son physique l’a mis dans une drôle de situation et il est pris en tenailles. Il ne veut pas décevoir ses fans mais, en même temps, il brûle d’étendre sa palette. »Casser quelque chose de joliPour le cinéaste, le déclic a été The Good Doctor (Lance Daly, 2012), un petit film que personne n’a vu – et pas seulement parce qu’il est inédit en France – mais que Bloom a produit et porté seul. Dans ce thriller psychosexuel, il s’emploie à casser son image de mec lisse en jouant un toubib borderline qui tue une patiente. Sa beauté n’est plus constitutive mais devient le sujet du film puisqu’elle sert de piège pour attirer la victime et éviter les soupçons. Ça sent déjà le « craquage », mais Zulu va encore plus loin permettant à Bloom d’échapper définitivement à l’enfer de Narcisse. L’acteur incarne Brian Epkeen, un flic violent qui voit sa vie voler peu à peu en éclats. Lors d’une scène déterminante, alors que les bad guys envahissent la maison de son ex-femme, Brian/Orlando casse la baie vitrée d’un magistral coup de boule, se relève la gueule en sang et tente de fuir. Manifestation ultime du ras-le-bol de se voir si beau en son miroir ou, comme le disait Tyler Durden dans Fight Club, « une envie de casser quelque chose de joli » ? « Mon visage ou la vitre ?, rigole l’intéressé. Je ne sais pas si j’irais jusque-là, mais le fait est que Brian est un personnage autodestructeur. Je devais en faire quelqu’un de crade, d’usé, lui donner un aspect sauvage et animal. C’est ce qui m’intéressait : pousser l’aiguille dans le rouge et surprendre les spectateurs qui m’attendent dans un certain type de rôles. »Sans filtre« Le plus dur pour lui a été d’assumer le fait de devenir moche. C’était vraiment courageux, reconnaît Salle. Il a cherché à s’enlaidir, il a changé physiquement en grossissant pour le rôle, et c’est ce qui donne une véritable profondeur au personnage. » L’acteur traverse ainsi le film différemment, avec une démarche et une liberté nouvelles, rugueuses, bien ancrées dans le sol. Grâce à Zulu, Orlando n’est plus seulement un elfe. Il est devenu un homme. Avec sa barbe dégueulasse, son haleine chargée de bière, ses lunettes qui lui bouffent le visage et son allure brutale, instinctive, il montre un côté sans filtre et charnel qu’on ne lui soupçonnait pas. Et il évite les clichés, notamment grâce à une authenticité impressionnante. Où prend-elle racine ? « Dans l’accent, précise Bloom. C’est ce qui m’a donné le plus de mal. Je suis arrivé un mois avant l’équipe pour le bosser. J’avais l’impression que c’était ce phrasé qui me donnerait les clés du personnage, qui me rendrait crédible. J’ai beaucoup observé les gens et, une fois que j’ai eu l’accent, j’ai su que j’avais le rôle, que j’étais devenu ce mec. » Ce mec ou un mec ? Jusqu’ici, on pensait qu’Orlando Bloom avait été créé pour incarner des fantasmes de gamines. Il est sans doute parfait dans Le Hobbit (comme toujours), mais dans Zulu, c’est différent. Tous les plans portent sa marque. Au fond, ce film était pour lui. Peut-être parce qu’il raconte l’histoire d’un type sans cesse forcé d’ouvrir les yeux sur lui-même.Gaël Golhen Orlando Bloom : "Avec Zulu, j'ai pu changer l'idée que les gens ont de moi"Caryl Ferey : "Zulu est fidèle à mon livre, mais plus encore à l'Afrique du Sud"