Tom Cruise a sauvé la vie de Christopher McQuarrie. Sa vie de cinéma, du moins. Au mitan des années 2000, alors que l’ex-scénariste prodige de Usual Suspects n’en finissait plus de traverser le désert, l’acteur a posé les yeux sur le script de Walkyrie et a décidé d’en faire son prochain film. Depuis, les deux ne se quittent plus. Script-doctor de luxe, McQuarrie a toiletté Mission : Impossible - Protocole FantômeOblivion et Edge of Tomorrow, avant de mettre en scène son copain Tom dans Jack Reacher, thriller racé et délicieusement old-school. Aujourd’hui, il succède à Brian De Palma, John WooJ.J. Abrams et Brad Bird aux commandes de la franchise Mission : Impossible pour un cinquième volet intitulé Rogue Nation et tout à fait excitant. Les triomphes, les bides, l’industrie, le public, les films d’hier et les cascades de demain… Le réalisateur de la promesse la plus excitante de l’été raconte ce qui fait courir Tom Cruise.>>> Mission : Impossible - Rogue Nation, film d'action quasi parfait (Review)Première : Chris, vous avez un jour décrit Tom Cruise comme une "movie-making machine". Une "machine à faire des films"…Christopher McQuarrie : Ah ah ! J’ai dit ça ? Ecoutez, il fait partie de ces gens qui ne font aucune distinction entre leur travail et les vacances. Il adore le cinéma. L’entertainment. Il s’est fixé comme mission de divertir le public et il s’éclate à chaque étape du processus. Peu de gens savent aussi bien que lui ce que les spectateurs attendent.    Ça lui vient d’où, d’après vous ?Du travail. Ça a commencé dès son premier film, TapsHarold Becker (le réalisateur) l’a pris sous son aile. Puis Tom a discuté avec tous les gens présents sur le plateau, leur a posé des questions. Il voulait tout comprendre à l’art de faire des films. Depuis, chaque tournage a été pour lui une occasion d’apprendre. Ça finit par faire une sacrée expérience… C’est un grand acteur, une immense star de cinéma, un producteur extrêmement intelligent, un vrai "filmmaker"… Mais il n’a jamais réalisé de film. Vous savez pourquoi ?Etre réalisateur, c’est beaucoup de travail, et c’est très fatigant. Et être Tom Cruise, c’est… beaucoup de travail, et c’est très fatigant ! Je ne dis pas qu’il n’en serait pas capable, je crois juste que ça tuerait une partie du fun à ses yeux. Il faut savoir que Tom, même sur une franchise dont il est le patron comme Mission : Impossible, ne débarque pas sur le set en disant : "la caméra doit être placée là, le plan doit ressembler à ci ou ça." Non, il a une idée de l’expérience qu’il souhaite partager avec le public. Et pour y arriver, il a besoin de dialoguer avec un metteur en scène.Et ces jours-ci, il a manifestement envie de dialoguer avec vous…Il semblerait, oui. J’ai un esprit très rationnel, très structuré. Tom, lui, veut transmettre des émotions. Alors on discute, encore et encore, jusqu’à ce que nous soyons tous les deux satisfaits. On aime les mêmes films, les mêmes réalisateurs - Hitchcock, Sydney Pollack... Ceci dit, j’ai pu l’observer au travail avec Bryan Singer, Doug Liman, ou Brad Bird, et je ne crois pas que sa façon de bosser change fondamentalement d’un metteur en scène à l’autre.Jack Reacher est l’un des premiers films où Cruise semblait enfin assumer son âge. C’est une vraie question de cinéma, ça, qui se pose à chaque nouvel épisode de Mission : Impossible : Tom Cruise peut-il vieillir ?Etant donné que j’ai six ans de moins que lui et que j’en parais dix de plus… j’espère qu’il ne vieillira jamais ! Bon, je reformule : Ethan Hunt peut-il vieillir ?Certainement pas ! L’essence même d’Ethan Hunt, c’est qu’il ne s’arrête jamais. Vieillir, ça veut dire ralentir, et ça, ça irait à l’encontre des préceptes de la saga. Hunt ne veut pas faire ce qu’il est en train de faire, mais il n’a pas le choix. Alors il y va. C’est ça l’ADN de Mission : Impossible ?L’idée qui lie tous les films, c’est de faire des choses super-héroïques dans un cadre réaliste. C’est le credo de Tom en tout cas.>>> Mission Impossible 5 : les cascades folles de Tom Cruise, en avion, en moto ou en voitureRécemment, les scores timides au box-office US d’Oblivion, de Jack Reacher et de Edge of Tomorrow, ont démontré que l’étoile de Cruise avait pâli. Y a-t-il un salut pour lui aujourd’hui en-dehors de la franchise Mission : Impossible ?Si j’admire Tom, c’est pour les risques qu’il prend. Dans le contexte actuel, les films que vous venez de citer sont des choix vraiment audacieux. Des films non "franchisés" de cette ampleur, ça ne court pas les rues. Et Walkyrie, bon sang ! Jouer le colonel von Stauffenberg dans un film programmé pour sortir à Noël, si ce n’est pas du courage, je ne sais pas ce que c’est… Tom fonctionne comme ça : il déniche ce genre de projet, les fait sortir de terre grâce à son star-power, puis travaille à les rendre accessibles à un très large public sans pour autant trahir leur ambition initiale. Quand il s’est intéressé à Walkyrie, il nous a dit, à Bryan Singer et moi : "Vous allez avoir besoin de beaucoup plus d’argent que ça pour le mener à bien". Quand quelqu’un te dit ça à Hollywood, traditionnellement, c’est qu’il s’apprête à te lister toutes les concessions que tu vas devoir faire en échange des dollars qu’il va te donner. Pas Tom. Jour après jour, il s’est battu pour que le budget soit toujours plus gros sans jamais nous demander de changer une virgule. Mondialement, Walkyrie a fini par rapporter 200 millions de dollars. Idem pour Jack Reacher. Sans Tom, ces films n’auraient même pas vu le jour ! Excusez-moi, mais moi, j’appelle ça des succès.Une théorie à la mode ces dernières années dit que les stars de cinéma sont une espèce en voie de disparition…Foutaises. Bullshit ! Elles sont toujours là. Regardez l’ascension de Bradley Cooper. Le come-back de Matthew McConaughey. L’espace d’un instant, en réaction à l’effondrement du marché vidéo et à la crise économique, les studios ont en effet contemplé l’idée de se passer des stars, histoire de ne pas avoir à partager leurs profits avec elles. Mais ils ont fini par comprendre que c’était quand même compliqué de fabriquer des films sans aucune tête d’affiche digne de ce nom. Non, ce qui m’inquiète vraiment, ce n’est pas la disparition des stars, mais du public. C’est ma grande peur : que le goût du cinéma se perde. Parce que le pouvoir, en fin de compte, est entre les mains des spectateurs. Pour que des acteurs de la carrure de Tom Cruise puisse émerger dans le futur, il faudra que le public les réclame. Le goût du cinéma, c’était le thème d’un article que vous avez écrit pour le magazine Empire, "Watching with father", dans lequel vous racontez l’éducation cinéphile de vos filles. Elles sont ados, maintenant, non ? Que représente Tom Cruise pour elles ?Oh, pour elles, c’est "Mister C." Un ami de la famille. Le collègue de papa. Leur tonton. Elles ont grandi avec lui. La petite avait deux ans au moment de Walkyrie, l’aînée sept. C’est le premier Tom Cruise qu’elles ont vu. L’autre jour, je leur ai montré Top Gun. J’étais un peu nerveux, j’avais peur que ça ait pris un coup de vieux. Elles ont adoré ! Elles ont quand même halluciné, elles avaient du mal à se dire que c’était lui. Tom est tellement jeune là-dedans !>>> 40 ans de blockbusters hollywoodiens : Top Gun (1986)La star de l’âge d’or à laquelle comparer Cruise, c’est bien Cary Grant, on est d’accord ?Oh absolument ! Tom et moi partageons une passion pour Les Enchaînés. Et La Mort aux Trousses est l’une des grosses influences de Rogue Nation. Comme Cary Grant, Tom est à l’aise dans le drame, dans la comédie, il est incroyablement beau, il sait pratiquer l’autodérision. J’adore le voir se moquer de lui-même dans Edge of Tomorrow.Vous savez que pas mal de gens – bon, OK, surtout les critiques de cinéma français – considèrent que Edge of Tomorrow est un film sur Tom Cruise. Ce type qui meurt et renaît indéfiniment, se prend des tôles et se relève…Ah ah ! Génial ! Et Emily Blunt incarnerait le public, qui le challenge sans cesse… Elle est bien, cette théorie. C’est vrai que quoi qu’il arrive, Tom reviendra. Et il se battra. Encore et toujours.Interview Frédéric FoubertBande-annonce de Mission : Impossible Rogue Nation, en salles le 12 août prochain :