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Alberto Novelli @albertonovellip / ©Alberto Novelli per Wildside

Rencontre avec le couple auteur de l’adaptation bouleversante du livre de Paolo Cognetti, récit initiatique autour d’une histoire d’amitié au long cours, Prix du Jury à Cannes 2022, qui vient de sortir en DVD et blu-ray.

Cette interview a initialement été publiée en décembre 2022.

Première : Qu’est ce qui vous donne envie d’adapter ce livre, véritable montagne dans tous les sens du terme ?

Felix van Groeningen : La maison de production qui en avait acquis les droits m’a appelé un jour pour me le proposer. Il se trouve que le livre de Paolo (Cognetti) était alors sur la table de mon salon car l’un de mes amis me l’avait offert. Je ne l’avais pas encore ouvert car, sur le papier, tout cela me semblait loin de moi et comme je recherchais le sujet d’un potentiel nouveau film, je m’étais concentré sur d’autres lectures. Mais quand j’ai commencé les premières pages, j’ai compris que je m’étais complètement planté. Car ce livre m’a parlé directement. Je n’ai pas hésité un instant à accepter la proposition qui m’avait été faite. J’avais une envie folle  de m’y attaquer, de passer quelques années dans ce monde avec ces personnages dénués de tout cynisme et surtout je m’en sentais capable. Mais j’ai tout de suite précisé que je voulais le faire en italien, dans la langue originale du livre.

Ce film s’est écrit à deux. A quel moment rentrez-vous dans la danse, Charlotte ?

Charlotte Vandermeersch : La première fois où on a collaboré ensemble, c’est pour Alabama Monroe. On était partis en vacances. Felix voulait finir son scénario…

FVG : … Et elle m’avait dit OK mais à condition qu’on écrive ensemble ! (rires)

CV : Et j’avais adoré ça. On avait donc envie de retenter, lui comme moi, cette expérience. Félix m’a parlé de la proposition dès qu’il l’a reçue. Je me suis plongée dans le livre moi aussi. J’ai tout de suite vu que c’était un film parfait pour Félix car ce livre, c’est lui sous tellement d’aspects ! Mais je me suis aussi sentie attirée par cette histoire tout à la fois épurée et épique, avec énormément de strates à l’intérieur du récit. Et j’avais envie d’honorer ce roman magnifique en essayant de s’emparer de tout ce dont il traite, en ne triant pas, en ne zoomant pas sur tel ou tel détail. En restant fidèle à la pureté épique du roman. On était alors début 2020. On s’était dit qu’on allait partir écrire à Bali… et le COVID est arrivé. Donc on a écrit à la maison mais ça nous a permis aussi de tenir durant cette période car on avait chaque jour un objectif. On vivait alors un moment difficile dans notre couple aussi et je peux dire que cette écriture nous a autant aidés que nos états de ce moment- là ont aidé l’écriture.

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Qu’est ce qui vous avait particulièrement touché dans cette histoire d’amitié au long cours entre Pietro, un garçon de la ville et Bruno, dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste ?

FVG : D’abord l’endroit où se déroule le récit, dans ce coin caché des Alpes qui faisait écho chez moi aux paysages d’Auvergne où j’ai passé beaucoup de temps dans ma jeunesse, un endroit où j’aimais moi aussi aller me ressourcer. Mais aussi la manière dont le récit raconte combien on se sent petit face à la mort.

Qu’est ce que qui a été le plus complexe dans ce travail d’adaptation ?

FVG : Embrasser toutes les facettes de Pietro, parvenir à faire vivre le récit dans sa tête et à traduire à l’écran tout ce qu’il pense mais ne dit pas. Ca fonctionne en littérature mais de manière moins fluide au cinéma à partir du moment où on prend le parti, comme nous, de ne pas noyer le film sous une voix- off, même si elle est présente tout au long du récit. Il a donc fallu faire des ajustements par rapport à l’œuvre mais en prenant garde de ne pas la trahir.

Vous avez échangé à ce sujet avec Paolo Cognetti ?

FVG : Oui, une fois parvenus à la deuxième version qu’on lui a fait lire. Et il a participé à partir de là à l’écriture des dialogues en italien comme à la voix off.

CV : Il nous a aidé à éliminer des séquences, à simplifier les choses. A l’écriture puis au montage. Et sur le plateau en lui- même, il a été notre guide pour connaître les gens, les lieux, les différents dialectes, la manière dont les gens se disent bonjour…

FVG : Paolo est une personne de peu de mots. Ce qui est plutôt inhabituel pour un écrivain (rires) et son apport a été décisif pour nous.

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Alberto Novelli @albertonovellip / ©Alberto Novelli per Wildside

A quel moment du processus arrive le choix de vos deux comédiens principaux, Luca Marinelli et Alessandro Borghi ?

FVG : Dès l’écriture de la première version qui s’est étalée sur 8 mois. On commence à ce moment- là le casting de tous les rôles. Et avec ce film, on entrait dans un monde qu’au fond on ne connaissait pas : le cinéma italien et ses comédiens. Luca et Alessandro nous ont été présenté dès le début. Mais chacun dans le rôle au final tenu par l’autre ! Au départ, j’avoue que comme ce sont les premiers dont on nous a parlé, on a voulu essayer d’explorer d’autres pistes avant de revenir vers eux deux mais tout ce processus nous a permis de nous familiariser avec les acteurs italiens, de trouver pas mal de seconds rôles.

Votre travail avec les comédiens change avec le fait de tourner en italien ?

FVG : Oui. Il faut s’appuyer sur des coachs pour respecter les accents, les dialectes. Car on aurait été incapables de le faire nous.

Comment vous vous répartissez le travail ?

FVG : Sur le scénario, quand moi j’étais impatient d'aller tourner, Charlotte n’a rien lâché par rapport à la responsabilité qu’elle éprouvait face à cette histoire. Elle l’a donc peaufiné, réécrit jusqu’à la dernière minute. De nous deux, c’est elle qui a le plus travaillé sur les dialogues et sur le plateau dans tout le travail de direction d’acteurs

CV : Félix, lui, s’est plus concentré sur la technique où son expérience était indispensable pour mener le projet à terme.

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Félix, vous retrouvez Ruben Impens, le chef opérateur de tous vos films. Comment avez- vous construit ensemble l’atmosphère visuelle de ces Huit montagnes ?

CV : C’est quelque chose de vraiment étonnant à observer ! (rires) Ils se mettent tous les deux derrière l’ordinateur, font défiler des images et ont à peine besoin de se parler pour se comprendre. C'est une osmose !

FVG : Ca fait 23 ans qu’on travaille ensemble et ni lui ni moi ne sommes des grands bavards. Il faut savoir que Ruben suit tout le processus du film. Il est présent pour les répétitions avec les acteurs par exemple. Il est au cœur de la création en permanence.

CV : Et il est indispensable pour mettre l’ambiance sur un plateau ! Il reste positif dans toutes les situations.

Pourquoi avoir opté pour le format 4/3 alors qu’on aurait pu s’attendre à un film en scope ?

FVG : C’est en tâtonnant. En n’arrivant pas à trouver en préparation des solutions pour certaines scènes. C’est en voyant les photos carrées qu’on avait prises lors des repérages qu’on a eu le déclic et on s’est aussi beaucoup inspiré de la photographie des films de Pawel Pawlikowski, Ida et Cold war. Comme tout ce qui nous a guidé dans cette aventure, ce fut une décision totalement organique. On a décidé de tester ce format. Et soudain tous les problèmes qu’on rencontrait disparaissait. On a donc su qu’on ne faisait pas fausse route.