Anamaria Vartolomei dans L'Empire de Bruno Dumont
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L’actrice césarisée de L’Evénement revient sur son expérience devant la caméra de Bruno Dumont, Prix du jury à Berlin où elle crève l’écran et évoque son année 2024 à suivre, de Maria au Comte de Monte Cristo.

Comment vous retrouvez- vous à jouer dans L’Empire après le départ du casting d’Adèle Haenel ?

Anamaria Vartolomei : Mon agent, Isabelle de la Patellière, m’a un jour appelée pour me dire que Bruno (Dumont) souhaitait me rencontrer pour le rôle et ne verrait aucune autre actrice que moi. Pour tout vous dire, à ce moment- là, je connaissais son univers esthétique mais assez peu ses films au fond. Mais comme France venait de sortir, je me suis précipité en salles avant d’aller au rendez-vous.

Comment vous présente-t-il son film ?

Bruno a d’abord partagé avec moi son désir de travailler ensemble. Puis il m’a expliqué de manière à la fois très belle et très philosophique qu’il voyait L’Empire comme une représentation symbolique de la lutte entre le Bien et le Mal. Mais ça reste encore assez flou pour moi. Je repars avec le scénario, je le lis le soir- même et je l’appelle le lendemain pour accepter

Cette lecture vous éclaire plus sur le récit ?

Pas vraiment ! (rires) Car Bruno n’écrit pas ses scénarios de manière conventionnelle, plus à la manière d’un roman. Avant chaque dialogue, aucun nom de personnage n’est précisé par exemple. Donc tu ne sais jamais vraiment qui parle. Ca demande à être hyper concentrée, tu t’y perds forcément. Mais c’est aussi ce côté barré et tellement éloigné de ce que j’avais pu faire avant qui m’attire. Après L’Evénement, j’ai longtemps attendu le bon projet, avec une collaboration aussi forte que celle que j’avais vécue avec Audrey (Diwan). Bruno m’est apparu comme le réalisateur idéal.

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Vous répétez en amont avec lui ?

Pas vraiment. Beaucoup de choses se passent pendant les essais costumes où il est très présent. Mais, jusqu’au plateau, tout reste de l’ordre de l’ébauche et ce d’autant plus qu’on va tourner avec beaucoup de VFX. J’ai donc du mal à me projeter. Mais ce flou m’intéresse et ce d’autant plus qu’il épouse le fait que Bruno travaille avec des non- professionnels et qu’il nous dirige tous à l’oreillette. Il y a un côté inédit à tout cela pour moi forcément très excitant et cela m’habitera tout au long du tournage qui exigera vivacité et rigueur. Je faisais confiance à son génie artistique et sa vision. D’autant plus que Bruno est quelqu’un de très participatif, il te demande souvent ton avis. Il ne m'a jamais rien imposé. Il sait où il veut t’emmener mais si au milieu du chemin, tu as envie de bifurquer un peu ailleurs, il accepte. Il veut que ses comédiens se sentent à l’aise.

Ca fait quoi d’être dirigée à l’oreillette ?

J’ai adoré même si c’est bizarre les premiers jours. J’avais surtout peur à cause du procédé de ne pas pouvoir être à l’écoute de mes partenaires, ni suffisamment dans le lâcher prise. Mais assez vite, on s’habitue parce que Bruno sait distiller ses directions avec précision et parcimonie. Jamais de manière intrusive. Ca complète juste les infos qu’il te donne avant les prises.

Quelle idée aviez- vous de votre personnage, Jane, en débutant ce tournage et a-t-elle évolué au fil de celui-ci ?

Je dirai qu’elle a gagné en profondeur au fil du tournage. Jane est une extraterrestre prenant peu à peu une apparence humaine en arrivant sur Terre. Il fallait donc trouver un truc pour la distinguer d'un humain lambda. Dans sa démarche, dans sa manière de parler, dans le regard mais sans en faire trop dans le côté mécanique. Ca passe par exemple par une manière de courir, inspirée par les jeux vidéo. Et puis c’est une militaire. Elle sait où elle va. C’est même le personnage qui guide l’histoire car elle a une mission et a ce côté pragmatique pour l’accomplir. Mais quand je dis qu’elle a gagné en profondeur sur le plateau, c’est parce que j’ai vraiment ressenti là qu’elle était peu à peu déstabilisée par cette humanité- là. Ma mission était de trouver le bon dosage pour lui donner de la sensibilité, de la vulnérabilité sans pour autant la métamorphoser totalement.

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Quel est votre avis sur le regard que Bruno Dumont porte sur les rapports hommes-femmes dans son film ?

J’écoutais un débat au moment où a éclaté l’affaire Depardieu. On y parlait du regard féminin et du désir dans ce qu’il peut receler de problématique. Or c’est précisément ce que Bruno montre dans le film. Ce qui impliqué qu’on trouve au fil de L’Empire des comportements misogynes, des propos qui dérangent mais qui sont là pour déranger ! Dans l’émission que j’évoquais, quelqu’un disait qu’il fallait faire attention que sous couvert de faire la chasse aux vrais prédateurs et aux vrais violeurs, aux vrais comportements dérangeants et problématiques, de ne pas censurer des œuvres qui justement mettent en scène ces situations-là. Je partage totalement ce point de vue. Distinguer une œuvre cinématographique de la réalité. Bruno, dans sa démarche, ne s’excuse pas plus qu’il ne cherche à provoquer. Ce n’est absolument pas son but. C’est quelqu'un de totalement en paix avec lui-même. Il montre la sexualité, les besoins primitifs non maîtrisés et, par ce geste, renvoie l’homme à sa violence, à sa bestialité. Mais le film se détache de tout jugement moral. Et j'ai l'impression que comme spectateur pour arriver à vivre l'expérience, il faut aussi arriver à se détacher de ça, à s’abandonner pour le suivre.

Qu'est ce qui vous a paru le plus compliqué dans la fabrication de ce film et de votre personnage ?

J’avais peur que Jane finisse par trop ressembler à mon personnage de L’Evénement. Dans le sens où comme elle, elle sait précisément où elle va. J'avais besoin qu'il y ait des cassures, des excès. J'avais peur de ne pas en faire assez. Puisque j’étais dans un Dumont et encore plus dans ce Dumont-là, j’avais la sensation de devoir faire quelque chose de décalé, de fantaisiste. Mais la fantaisie est là donc il faut savoir justement ne pas surenchérir. Et, pour ce dosage, je savais que je pouvais compter sur le regard de Bruno.

L’Empire a marqué le coup d’envoi de votre retour en force sur les plateaux car on va beaucoup vous voir dans les prochains mois…

Oui, j’ai enchaîné avec Maria de Jessica Palud où je joue Maria Schneider, Le Comte de Monte-Cristo, le projet sur De Gaulle d’Antonin Baudry  et un film roumain produit et co-écrit par Cristian Mungiu (4 mois, 3 semaines, 2 jours). Maria fut un tournage dur, plus encore que L’Evénement pour moi. Je n’ai jamais été confrontée à un rôle aussi difficile en seulement 25 jours de tournage. La fin de celui-ci fut comme une libération émotionnelle pour moi. Et, par ricochet, je voyais presque Le Comte de Monte-Cristo avec les moyens dévolus à ce projet comme des vacances ! (rires) Sauf que j’y joue avec un accent roumain et je n’ai aucune idée de ce que ça donne car, avec raison, les réalisateurs n’ont pas voulu que j’écoute mes scènes sur le plateau. Mon personnage Haydée est orientale dans le roman de Dumas. Alexandre (de la Patellière) et Matthieu (Delaporte) ont voulu en faire une fille d’Europe de l’Est. Mais bien qu’origine roumaine, ça n’allait pas de soi pour moi. Et je n’avais aucune envie de me planter dans un projet qui va être autant vu ! Pour cela, je me suis inspirée de ma maman. Je l’ai enregistrée lisant le texte et j’ai donc travaillé à l’oreille à l’imitation d’un accent qui a lui- même été vachement poli avec le temps pour le faire mien. Donc ça a été tout sauf des vacances ! Mais là encore, je fais confiance à Alexandre (de la Patellière) et Matthieu (Delaporte).  Et je suis forcément impatiente de voir le résultat !

L’Empire. De Bruno Dumont. Avec Anamaria Vartolomei, Lyna Khoudri, Fabrice Luchini… Durée : 1h50